samedi 16 mars 2019

La musique de chambre de Brahms par la Belle Saison Live



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Le label B Records poursuit une intégrale de la musique de chambre de Johannes Brahms qui est une pure merveille. Elle a été réalisée dans le contexte de la Chapelle Musicale Reine Elisabeth en quelques mois, dans le cadre d’un projet de concerts publics joués par les mêmes interprètes. Une équipe s’est ainsi constituée qui a déjà proposé deux beaux volets de ladite intégrale. Celle-ci s’achève par le volume n° 3 : un album de deux CD consacrés aux œuvres avec instrument à vent. La clarinette est l’instrument commun au Trio avec violoncelle et piano, opus 114, au Quintette avec cordes opus 115 et aux Sonates n° 1 et 2 avec piano opus 120. Ce sont des œuvres majeures du répertoire de la musique de chambre, qui datent de la dernière période créatrice de Brahms, entre 1891 et 1894. Le compositeur, au crépuscule de son existence, avait fait la connaissance de Richard Mühlfeld, le clarinettiste de l’orchestre de Meiningen, dont le jeu le fascina. Ce fut la source d’une inspiration nouvelle qui devait aboutir à l’écriture des quatre chefs-d’œuvre en question. Ces partitions furent accueillies avec enthousiasme, en particulier le Quintette lorsque le destinataire, Mühlfeld, le donna en première audition à Berlin en décembre 1891, avec Joseph Joachim au violon et des membres de la formation de Meiningen. La critique fut à l’unisson du public. Ce Quintette bénéficie d’une architecture structurée avec le plus grand soin. Le premier allegro est vivant et spontané, les mouvements médians développent une plénitude presque charnelle avant un final d’une grande expressivité. Le Trio est plus luxuriant, avec des couleurs vives de la clarinette et une pulsion qui n’oublie pas la part du rêve. Quant aux deux Sonates aux chauds reflets automnaux, elles mêlent l’invention rythmique au phrasé ouvert et à l’articulation nerveuse de la clarinette. Des pages superbes, des sommets absolus de la musique de chambre, enregistrés le 2 octobre 2017 et le 18 mars 2018 au studio Haas Teichen, espace de répétitions et de prestations publiques, dans le cadre de la « Belle Saison Live » de la Chapelle Musicale de Waterloo. Les interprètes les servent avec intensité, équilibre sonore et conviction. Florent Pujuila, lauréat de plusieurs concours nationaux et internationaux, est clarinette solo de l’Orchestre de Chambre de Paris. Il possède une sonorité raffinée, noble et pure qui est ici un véritable régal. Il sait user de sensualité, de charme ou d’émotion retenue avec cette chaleur qui est le signe d’une intimité réelle avec la partition.  En fonction des effectifs instrumentaux, il est accompagné au piano par Eric Le Sage, attentif à chaque respiration et à chaque inflexion, par Pierre Foucherennet et Deborah Nemtanu au violon, Lise Berthaud à l’alto et François Salques au violoncelle, tous en pleine complicité et en parfaite osmose. Ce qui nous donne une intégrale de haut niveau, qui se hisse facilement parmi les meilleures d’une riche discographie.
Le Trio pour cor, violon et piano op. 40 est le digne complément de ces partitions magnifiques. C’est une œuvre commencée à Baden-Baden au cours de l’été 1864, complétée au printemps de l’année suivante, au moment où Brahms est confronté à la douleur du décès de sa mère. Mais ce n’est pas son chagrin qui est reflété dans ce trio, c’est plutôt l’impression ressentie face aux paysages de la Forêt Noire. Brahms était au piano lors de la création à Karlsruhe en 1865. Les quatre mouvements font penser à une fresque qui allie le rêve, la souplesse, la générosité, les nuances dynamiques et la variété des couleurs. Le fabuleux Aubrey Brain, Adolf Busch et Rudolf Serkin en avaient donné il y a bien longtemps une version qui a traversé le temps, alors que plus récemment Barry Tuckwell, avec Itzakh Perlman et Vladimir Ashkenazy, nous mettait le cœur aux lèvres. Joël Lasry, corniste français originaire d’Amiens, tient le pari d’une prestation qui ne faiblit pas face à ses prestigieux aînés. Il nous enchante au sens premier du terme par la souplesse de son jeu et par sa facilité à unir le lyrisme à la séduction. Ici aussi, Eric Le Sage est un partenaire sans reproche, mais nous avons cherché en vain qui tenait l’archet si éloquent et si soigné du violon dans ce trio, la pochette ni la notice ne précisant s’il s’agit de Deborah Nemtanu ou de Pierre Fouchenneret.
Les applaudissements chaleureux du public qui a eu la chance d’assister à ces concerts confirment l’impression éprouvée tout au long de ce superbe album B Records (LBM 015) :  un intense bonheur d’écoute, servi par une prise de son  claire et naturelle. Bravo la Chapelle !

Jean Lacroix