samedi 2 mars 2019

Ein Deutsches Requiem: Johannes Brahms universel...

 Johannes Brahms, entre ferveur et message universel

Le lien vers le CD est ici

Le label Glossa (GCD 921126) a enregistré en mai 2018 une nouvelle version du Deutsches requiem ; il s’agit d’un live donné dans l’une des salles du palais des concerts « De Doelen » de Rotterdam par l’Orchestra of the Eighteen Century dirigé par Daniel Reuss, avec la soprano Carolyn Sampson, le baryton André Morsch et la Cappella Amsterdam. Créée à Brème le 10 avril 1868, qui était un Vendredi Saint, cette partition d’un compositeur de 35 ans ouvrait une nouvelle ère dans la production brahmsienne. S’il était connu et même reconnu dans le domaine de la musique de chambre et des œuvres vocales, si son talent de pianiste était apprécié, le compositeur devait encore faire ses preuves dans l’univers symphonique. Cela n’allait pas tarder.
Lors de cette création du Deutsches Requiem (devant un public de près de 2 500 spectateurs), le solo pour soprano, futur cinquième mouvement, n’y figurait pas. La version définitive, avec ce solo, fut donnée en première à Leipzig en 1869 ; le succès fut tel que, dans les dix années qui suivirent, on dénombra plus d’une centaine d’exécutions européennes. On lira avec beaucoup d’intérêt la notice en français qui accompagne ce CD ; elle est signée Clemens Romijn et traduite par Marc Trautmann. Elle rappelle notamment l’admiration du critique viennois de l’époque, Edouard Hanslick, souvent avare de compliments, qui écrivit après la création: « Depuis l’époque de Mozart et de Beethoven, voilà bien l’œuvre sacrée la plus considérable qui soit. » La destination de la partition n’était pas la liturgie, mais plutôt la salle de concerts, à la manière d’un oratorio. Placé sous le signe du deuil (celui de Schumann, bien sûr, depuis 1856, mais surtout celui de sa mère en 1865), ce poignant Requiem de Brahms affiche une haute spiritualité, la volonté d’un message universel et aussi d’un espoir au-delà de la douleur. C’est ce que l’on ressent chaque fois que l’on écoute ce monument. En dehors de tout contexte religieux, que l’auditeur peut toutefois considérer comme sous-jacent, on peut entrer profondément dans l’âme et se nourrir du sens du « sacré » dans sa dimension la plus humaine et la plus engagée. Cette partition nous a valu des références discographiques de haut niveau. Epinglons, parmi les grands anciens, celle de Klemperer avec Elisabeth Schwarzkopf et Fischer-Dieskau, suffocante d’intensité, celle de Kempe, avec Elisabeth Grümmer et le même Fischer-Dieskau, que l’on peut qualifier de « concert méditatif » et les différentes versions de Karajan, aux grandes lignes architecturales mais aussi poétiques, avec des crescendos renversants. Plus récemment, Abbado, Rattle ou Gardiner avaient convaincu, mais la compréhension du sens de l’œuvre par les chefs de la seconde moitié du XXe siècle (on y ajoutera Giulini, qui alliait pudeur et grandeur) était telle qu’il faut du courage et de l’audace pour s’y affronter de nos jours sur le plan discographique. Qu’en est-il du présent CD ? La notice précise avec opportunité qu’à l’époque de Brahms, les salles de concert étaient plus petites et les instruments différents, l’effet général dégageant plus de transparence. Le choix a donc été porté ici sur des instruments historiques, avec un chœur imprégné du style du temps et un chef « attentif aux sonorités du compositeur », selon le livret. Mais ce sont aussi les tempis qui entrent en jeu : les indications préciseraient plus de vivacité que ce que l’on entend de nos jours. Carl Reinthaler, le chef assistant qui prépara les concerts de 1868, les a relevées. Il semble qu’en fait, les mouvements lents étaient plus « allants » et les mouvements rapides plus « modérés ». La notice avoue que le présent enregistrement s’inspire de ces indications, mais ne se plie pas à toutes. A l’audition, une constante s’impose : la salle de concert possède un son qui paraît étouffé, comme si un voile était tendu, avec des tendances à gommer certaines aspérités de la partition, et le déploiement des forces vocales n’est pas toujours en adéquation avec ce qui nous paraît correspondre au message spirituel, qui, en fait, ne nous transporte pas. La conception de Daniel Reuss et de la Cappella Amsterdam nous laisse entre deux chaises, entre recherche d’introspection bienvenue, et envie d’exaltation plus grandiose. Le même sentiment prévaut quant aux interventions chorales. Restent les deux solistes, qui ne bénéficient pas de la faveur d’une seule ligne de présentation dans le livret (le chef non plus) : le baryton André Morsch, que l’on connaît dans Bach ou Haydn, chante avec beaucoup de conviction et de vaillance ; il n’est pas bridé par la conception du chef, même si le relief sonore qui lui est accordé paraît insuffisant. Quant à la soprano Carolyn Sampson, pour laquelle nous avons déjà avoué notre prédilection (ah, dans les cantates de Bach !), elle est émouvante, touchante et lumineuse, avec ce léger vibrato si délicat qui apparaît de temps à autre dans sa voix. Sept minutes de bonheur, c’est court dans une version en fin de compte en demi-teinte, à considérer comme un moment de concert à découvrir, mais certainement pas comme une référence discographique.



Jean Lacroix