La commémoration des 150 ans de
la disparition d’Hector Berlioz, décédé le 8 mars 1869, bat son plein. Pour
marquer l’événement, le label Château de Versailles publie sur DVD (CVS011, Blu
Ray inclus), un concert donné à l’Opéra Royal de Versailles le 21 octobre 2018 par l’Orchestre Révolutionnaire et
Romantique dirigé par Sir John Eliot Gardiner. Un fastueux programme qui
comprend deux œuvres de jeunesse, à savoir la cantate La mort de Cléopâtre pour soprano et orchestre (1829) et la Symphonie fantastique (1830), une page
de maturité, l’ouverture Le Corsaire (1854)
et des extraits de l’opéra Les Troyens,
qui date de 1863. Belle affiche s’il en est !
Lien vers le CD |
On connaît les déboires du
compositeur né le 11 décembre 1803 à la Côte Saint-André, près de Grenoble (la
maison familiale est à visiter, sans hésitation : c’est un superbe lieu),
face aux exigences de son père médecin qui le destine à la même fonction. La
musique est la plus forte : Berlioz quitte les siens pour de très longues
années de conflit afin de se consacrer à sa vocation. A Paris, il tombe
éperdument amoureux de la comédienne irlandaise Harrieth Smithson ; il
mettra des années à la conquérir. Face à l’indifférence que lui témoigne l’élue
de ses pensées au début de ses déclarations passionnées, Berlioz perd la tête
et se lance dans l’écriture d’une œuvre hors normes, qu’il intitule Symphonie fantastique « épisode de la
vie d’un artiste » et qui est créée en 1830. C’est un tournant de l’histoire
de la musique, qui devient très vite la référence du romantisme musical et,
encore de nos jours, frappe l’auditeur par son inventivité, sa grandeur et son
orchestration novatrice. Ce n’était pas la première composition du maître.
Après quelques autres, il avait signé l’année précédente, en juillet 1829, une
« scène lyrique » pour le Prix de Rome, La Mort de Cléopâtre, mais le prix ne fut pas attribué et Berlioz
ne reçut aucune distinction pour cette merveille, redécouverte dans la seconde
moitié du XXe siècle, et dont les enregistrements sont nombreux.
La carrière de Berlioz prend de
l’ampleur. Au cours des décennies qui vont suivre, marquées par le décès de son
épouse et son remariage avec la cantatrice Maria Recio, qui est sa maîtresse
depuis le début des années 1840, il compose des chefs-d’œuvre, comme Harold en Italie, la symphonie
dramatique Roméo et Juliette ou la
légende dramatique La Damnation de Faust.
La courte ouverture Le Corsaire,
dédiée au journaliste et critique musical anglais James Williams Davison, est
écrite en 1845, mais connaît des révisions jusqu’à sa version définitive de
1854. Deux ans plus tard, Berlioz entreprend un projet ambitieux, qu’il veut
écrire « à la manière de Shakespeare » en s’inspirant de l’Enéide de Virgile, Les Troyens. Cette œuvre, à l’instrumentation complexe et d’une
puissante portée tragique, ne sera jouée intégralement qu’en 1890 en Allemagne.
Berlioz n’en entendra que la seconde partie, Les Troyens à Carthage, en 1863, au Théâtre Lyrique de Paris.
Le concert de Gardiner est un bel
échantillon de la créativité berliozienne. On connaissait déjà son
enregistrement sur CD Philips de la version originale de la Symphonie fantastique sur instruments
d’époque, reprise il n’y a pas longtemps dans un « Berlioz rediscovered »,
un coffret de huit CD chez Decca avec d’autres partitions. Mais voir le chef
anglais et son orchestre en action est toujours une expérience vivifiante.
C’est donc avec un réel sentiment de plaisir que l’on découvre un Corsaire d’une grande lisibilité et la Chasse royale et Orage des Troyens
menés avec la fougue qui convient. Pour la partie vocale, appel a été fait
à la mezzo-soprano Lucile Richardot qui n’est venue au chant qu’à 27 ans après
avoir été journaliste. Intéressée par le répertoire ancien et la création
contemporaine, elle s’est consacrée à Vivaldi, Haendel ou Purcell, mais aussi à
Nono ou à Boesmans, dont elle a créé à Paris et à Vienne le rôle de la Première
Tante dans l’extraordinaire opéra Yvonne,
princesse de Bourgogne. La Mort de Cléopâtre,
sur un texte du poète, dramaturge et critique Pierre-Ange Vieillard
(1778-1862), que l’on peut lire dans le livret, conserve le souvenir des
versions de Janet Baker/Davis, Véronique Gens/Langrée ou Anna Caterina
Antonacci/Nézet-Séguin. Lucile Richardot ne pâlit pas devant ces références
prestigieuses : elle évite les pièges des effets précieux et des poncifs
pour rendre à ce morceau de bravoure sa force dramatique et sa part d’émotion.
Il en est de même pour le Monologue et air de Didon « Ah, je vais mourir… Adieu
fière cité » extrait des Troyens,
dont elle souligne la douleur de sa voix enveloppante, avec pudeur et retenue.
Gardiner, attentif aux nuances, veille à valoriser le chant en respectant les
timbres et en faisant de son ensemble un écrin adapté. Quant à la Symphonie fantastique, elle brille de
mille feux, même si on ne bascule pas dans la démesure qu’un Charles Munch lui
insufflait. Gardiner souligne la modernité qui traverse l’œuvre en distillant
des traits clairs et équilibrés et en magnifiant la souplesse orchestrale du Bal comme la poésie de la Scène aux champs, sans négliger la
virtuosité et l’impact de la Marche au
supplice, avant un Sabbat orgiaque,
résultat d’une tension accumulée tout au long de la partition.
Voilà un très beau concert à
regarder, d’autant plus que la vision en est agrémentée par la reconstitution
d’un décor prestigieux, conçu pour l’Opéra Royal en 1837 et remonté sur la même
scène pour Berlioz une dizaine d’années plus tard. La notice, à l’élégante
présentation, signale que le décorateur de l’Opéra de Paris, Pierre-Luc-Charles
Cicéri, avait imaginé un « palais de marbre rehaussé d’or » pour
l’exécution d’un ballet. Berlioz, excellent chef d’orchestre, a dirigé souvent
ses propres œuvres, en plus de celles de contemporains. Le dimanche 29 octobre
1848, une festivité fut organisée à l’Opéra Royal de Versailles, avec le décor
restauré de Cicéri, pour l’Association des Artistes-Musiciens. Laurent Brunner
retrace la biographie du musicien dans le livret du DVD et précise que ce
concert « est un geste politique
fort de la Seconde République naissante, qui lui permet de réunir plus de
quatre cents musiciens pour un programme mêlant Beethoven, Gluck, Rossini,
Weber, la « Grande Fête » de son Roméo et Juliette et la
« Marche Hongroise » de son Faust. » Ce « palais de
marbre rehaussé d’or » fut transféré au château de Compiègne en 1871,
retrouvé en 1998 et déposé à Versailles, où il a été peu à peu restauré, des
éléments ayant disparu ou s’étant abîmés. C’est dans toute sa splendeur
ressuscitée qu’il sert de toile de fond à la soirée Gardiner, ajoutant le
plaisir des yeux à ceux de l’audition. Décidément, si Versailles n’existait
pas, nous serions dépossédés de multiples merveilles !
Un extrait video est accessible sur le lien ICI