La musique tchèque recèle-t-elle
des trésors qui sont encore à mettre en valeur ? Oui, les trois quatuors
de Karel Kovařovic (1862-1920)
en témoignent. Le Quatuor Stamic les a enregistrés en janvier et mars 2018 pour
le label Supraphon (SU 4267-2) qui nous révèle en première mondiale ces œuvres
gorgées de lyrisme.
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Fondé en 1985 par quatre membres
de la Philharmonie tchèque formés par le Quatuor Smetana, le Quatuor Stamic a
conservé longtemps sa formation originale, à l’exception du premier violon,
Bohuslav Matoušek, remplacé en 2001 par Jindřich Pazdera. Josef Kekula, comme
second violon, Jan Peruska, à l’alto et Vladimir Leixner au violoncelle
(récemment décédé, il a cédé sa place à Petre Hejny) ont vécu l’aventure depuis
sa création. Une aventure marquée par plusieurs prix obtenus dans des concours
internationaux, des tournées dans le monde entier et une participation
régulière au Festival de Prague. Les Stamic ont pris l’habitude de sortir des
sentiers battus. On trouve à leur répertoire des partitions de Vaňhal, Vranický,
Koželuh, les intégrales de Foerster ou Goubaïdoulina, mais aussi de Dvořák, qui
leur a valu un Grand Prix du Disque (le coffret est à prix doux chez
Brilliant). Leur curiosité s’est étendue tout naturellement à Kovařovic, qui
occupa de 1900 à son décès le poste de chef d’orchestre du Théâtre national de
Prague, où il dirigea maints concerts symphoniques. Ses interprétations de
Smetana et de Dvořák s’imposèrent, car sa compétence fut reconnue, après le
conflit qui l’opposa à l’orchestre au moment de sa nomination, les musiciens
refusant celle-ci. Comme le précise le texte d’accompagnement du livret
(traduit en français, merci à Supraphon), « depuis 1896, l’Orchestre de l’Opéra fonctionnait en même temps
qu’orchestre de concert sous le nom de Philharmonie tchèque ; après cet
événement, il devint indépendant. Il y avait suffisamment de musiciens sans
emploi pour permettre à Kovařovic de remonter un orchestre d’opéra et le
conflit profita aux deux institutions. » Ce chef eut cependant des
démêlés avec Janáček dont il ne voulut pas reconnaître la valeur de l’opéra Jenufa ; le compositeur se vit
contraint de remanier sa partition, qui fut finalement jouée avec succès.
En tant que créateur, Kovařovic
est un méconnu. Il est l’auteur d’opéras basés sur des thèmes nationaux, selon
les modèles français de Gounod et Massenet, tous créés à Prague, de musiques de
ballet, de quelques pièces symphoniques dont un précoce Concerto pour piano qui date de ses 25 ans, et des trois quatuors à
cordes qui nous occupent ici.
La notice nous apprend que ces
oeuvres ont été retrouvées par le Quatuor Stamic « dans la succession du compositeur déposée au Musée national »
et que les musiciens se sont chargés eux-mêmes de la révision des autographes
et de la préparation du matériel d’exécution. Une belle trouvaille, il faut le
reconnaître, qui nous permet d’avoir accès à ces partitions. Le Quatuor n° 1 est
une œuvre de jeunesse, datée de 1879, dont on ignore s’il a été un jour
exécuté. Le compositeur de 17 ans est en recherche, il utilise une forme
traditionnelle en quatre mouvements qui annonce une maturité non encore
affermie, mais qui développe déjà un sens des nuances et une inspiration
d’essence poétique. Nous jugeons sévère l’appréciation du livret qui estime que
le matériau peu contrasté, malgré une
invention intéressante, peut paraître monotone, impression que nous n’avons
pas du tout ressentie.
Dédié à Dvořák, le Quatuor n°2 de
1887 fut exécuté en public dès l’année suivante dans un programme où l’on
pouvait entendre aussi l’opus 74 « Les Harpes » de Beethoven ou le Quintette avec piano opus 81 de Dvořák.
Malgré des reproches de manque de feu et d’élan émis par des jugements de
l’époque, on ne peut que souscrire à l’avis positif de Foerster, alors critique musical, qui écrivit ce que
nous rapporte la notice : « […] On
a été agréablement surpris par la pureté et la transparence du style. Un mélodisme
chaleureux et une rythmique pleine de fraîcheur sont les atouts connus du jeune
artiste […] ». C’est ce que l’on constate à l’écoute de cette
partition en quatre mouvements, dont le climat dansant du début et de la fin
s’écoute avec un réel plaisir. Ce Quatuor n° 2 fut joué à Vienne en 1894, année
où Kovařovic entama une nouvelle œuvre, un Quatuor n° 3, qui est inachevé. Le
troisième mouvement est incomplet et le final manque à l’appel. Mais tels
quels, les morceaux séduisants qui nous sont parvenus ne sont pas sans rappeler
l’influence de Smetana, que Kovařovic portait aux nues. Après un Allegro moderato développé au rythme
enlevé, le Scherzo qui sert de second
mouvement est soulevé par une allure entraînante de polka.
On ne niera pas l’évidence :
si ces quatuors ne sont pas des chefs-d’œuvre de premier plan, ils sont
toutefois empreints de ce mélange tchèque si particulier qui combine la
nostalgie à la joie, la tendresse au lyrisme profond et l’élégance à la
finesse. Mille grâces soient rendues au Quatuor Stamic pour cette mise en
lumière pour laquelle, comme à l’accoutumée, ils s’investissent avec talent et
probité.
Jean Lacroix