vendredi 13 septembre 2019

En première mondiale, une intégrale des Quatuors de Kovařovic


La musique tchèque recèle-t-elle des trésors qui sont encore à mettre en valeur ? Oui, les trois quatuors de Karel Kovařovic (1862-1920) en témoignent. Le Quatuor Stamic les a enregistrés en janvier et mars 2018 pour le label Supraphon (SU 4267-2) qui nous révèle en première mondiale ces œuvres gorgées de lyrisme. 
Lien vers le CD

Fondé en 1985 par quatre membres de la Philharmonie tchèque formés par le Quatuor Smetana, le Quatuor Stamic a conservé longtemps sa formation originale, à l’exception du premier violon, Bohuslav Matoušek, remplacé en 2001 par Jindřich Pazdera. Josef Kekula, comme second violon, Jan Peruska, à l’alto et Vladimir Leixner au violoncelle (récemment décédé, il a cédé sa place à Petre Hejny) ont vécu l’aventure depuis sa création. Une aventure marquée par plusieurs prix obtenus dans des concours internationaux, des tournées dans le monde entier et une participation régulière au Festival de Prague. Les Stamic ont pris l’habitude de sortir des sentiers battus. On trouve à leur répertoire des partitions de Vaňhal, Vranický, Koželuh, les intégrales de Foerster ou Goubaïdoulina, mais aussi de Dvořák, qui leur a valu un Grand Prix du Disque (le coffret est à prix doux chez Brilliant). Leur curiosité s’est étendue tout naturellement à Kovařovic, qui occupa de 1900 à son décès le poste de chef d’orchestre du Théâtre national de Prague, où il dirigea maints concerts symphoniques. Ses interprétations de Smetana et de Dvořák s’imposèrent, car sa compétence fut reconnue, après le conflit qui l’opposa à l’orchestre au moment de sa nomination, les musiciens refusant celle-ci. Comme le précise le texte d’accompagnement du livret (traduit en français, merci à Supraphon), « depuis 1896, l’Orchestre de l’Opéra fonctionnait en même temps qu’orchestre de concert sous le nom de Philharmonie tchèque ; après cet événement, il devint indépendant. Il y avait suffisamment de musiciens sans emploi pour permettre à Kovařovic de remonter un orchestre d’opéra et le conflit profita aux deux institutions. » Ce chef eut cependant des démêlés avec Janáček dont il ne voulut pas reconnaître la valeur de l’opéra Jenufa ; le compositeur se vit contraint de remanier sa partition, qui fut finalement jouée avec succès.
En tant que créateur, Kovařovic est un méconnu. Il est l’auteur d’opéras basés sur des thèmes nationaux, selon les modèles français de Gounod et Massenet, tous créés à Prague, de musiques de ballet, de quelques pièces symphoniques dont un précoce Concerto pour piano qui date de ses 25 ans, et des trois quatuors à cordes qui nous occupent ici.
La notice nous apprend que ces oeuvres ont été retrouvées par le Quatuor Stamic «  dans la succession du compositeur déposée au Musée national » et que les musiciens se sont chargés eux-mêmes de la révision des autographes et de la préparation du matériel d’exécution. Une belle trouvaille, il faut le reconnaître, qui nous permet d’avoir accès à ces partitions. Le Quatuor n° 1 est une œuvre de jeunesse, datée de 1879, dont on ignore s’il a été un jour exécuté. Le compositeur de 17 ans est en recherche, il utilise une forme traditionnelle en quatre mouvements qui annonce une maturité non encore affermie, mais qui développe déjà un sens des nuances et une inspiration d’essence poétique. Nous jugeons sévère l’appréciation du livret qui estime que le matériau peu contrasté, malgré une invention intéressante, peut paraître monotone, impression que nous n’avons pas du tout ressentie.
Dédié à Dvořák, le Quatuor n°2 de 1887 fut exécuté en public dès l’année suivante dans un programme où l’on pouvait entendre aussi l’opus 74 « Les Harpes » de Beethoven ou le Quintette avec piano opus 81 de Dvořák. Malgré des reproches de manque de feu et d’élan émis par des jugements de l’époque, on ne peut que souscrire à l’avis positif de Foerster, alors  critique musical, qui écrivit ce que nous rapporte la notice : « […] On a été agréablement surpris par la pureté et la transparence du style. Un mélodisme chaleureux et une rythmique pleine de fraîcheur sont les atouts connus du jeune artiste […] ». C’est ce que l’on constate à l’écoute de cette partition en quatre mouvements, dont le climat dansant du début et de la fin s’écoute avec un réel plaisir. Ce Quatuor n° 2 fut joué à Vienne en 1894, année où Kovařovic entama une nouvelle œuvre, un Quatuor n° 3, qui est inachevé. Le troisième mouvement est incomplet et le final manque à l’appel. Mais tels quels, les morceaux séduisants qui nous sont parvenus ne sont pas sans rappeler l’influence de Smetana, que Kovařovic portait aux nues. Après un Allegro moderato développé au rythme enlevé, le Scherzo qui sert de second mouvement est soulevé par une allure entraînante de polka.
On ne niera pas l’évidence : si ces quatuors ne sont pas des chefs-d’œuvre de premier plan, ils sont toutefois empreints de ce mélange tchèque si particulier qui combine la nostalgie à la joie, la tendresse au lyrisme profond et l’élégance à la finesse. Mille grâces soient rendues au Quatuor Stamic pour cette mise en lumière pour laquelle, comme à l’accoutumée, ils s’investissent avec talent et probité.

Jean Lacroix