vendredi 13 septembre 2019

Un coffret de dix CD pour les 30 ans du Concerto Köln

Avec les trésors musicaux dont il nous a gratifiés et qui semblent tous dater d’hier, tant ils demeurent d’actualité dans la discographie de la musique baroque et classique, on a du mal à se dire que le Concerto Köln a été fondé en 1985 et que ses premiers enregistrements datent déjà d’une trentaine d’années. A cette époque, l’ensemble, composé d’une bonne vingtaine d’instrumentistes, cordes et vents, accompagnés d’un clavecin, fut engagé par le label Capriccio pour lequel il signa une série d’enregistrements qui ont marqué les mémoires. Il a reçu maintes récompenses et sert encore de référence dans la plupart des cas. Cette maison d’édition a eu l’excellente initiative de réunir dans un coffret de dix CD (C7305) quelques disques majeurs que l’on redécouvre avec émerveillement, d’autant plus que la qualité sonore est au rendez-vous. Ce groupe remarquable a été constitué par de jeunes musiciens issus de plusieurs pays, qui jouent sur instruments anciens ; dès 1992, sous la direction du violon solo Werner Ehrhardt, la création à Cologne d’un festival de musique ancienne s’est attaché à mettre en évidence, à côté de Bach, Vivaldi ou Mozart, des compositeurs moins connus de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle. Le Concerto Köln s’est fait remarquer par les qualités de sa mise en place et un panache efficace sans effets ostentatoires, mais aussi par la diversité d’un répertoire dans lequel il s’est engagé avec le sens du drame, la souplesse, le charme ou l’élégance requis.
Lien vers le CD

On salue donc avec un réel plaisir (il faudrait dire avec bonheur) la sobre mise en coffret de quelques trésors parus entre 1988 et 2003, avec un livret en deux langues (mais pas en français, hélas) qui résume les notices des parutions initiales. On s’en contentera, d’autant plus que ce bijou est vendu à prix doux et qu’il constitue une référence « incontournable » pour la plupart des œuvres sélectionnées. Des compositeurs comme Durante, Leo, Gossec, Martin, von Dittersdorf, Davaux, Brunetti, Moreno, Pons, Nono, Arriaga ou Kraus, sans oublier les fils de Bach, sont ainsi admirablement servis. Pergolèse, Scarlatti, Vivaldi ou Mozart y figurent également. Pour ce dernier, choix du dixième CD qui date de 2002, il s’agit des symphonies 29 et 35, du Concerto pour clarinette, avec le radieux Pierre-André Taillard en soliste, et de la courte ouverture de Betulia liberata. Une sorte de coup de chapeau final à un ensemble qui ne cesse de plonger le mélomane dans l’exaltation à chaque instant.

Le coffret s’ouvre par un délicieux CD Vivaldi de 1988 qui, après le RV 433 La Tempesta di Mare ou le RV 439 La Notte à l’incroyable jaillissement, va à la découverte de pages d’habitude moins fréquentées à l’époque, comme le concerto « in due cori » RV 585, le RV 579 Concerto funèbre, ou le RV 552 dans lequel évoluent trois violons « per eco in lontano ». On est sous l’envoûtement, une emprise qui se renforce avec le deuxième CD de 1989 dédié à quatre fils de Bach : Johann Christoph Friedrich, Carl Philipp Emanuel, Wilhelm Friedemann et Johann Christian, qui rivalisent en harmonies variées et audacieuses d’une confondante richesse mélodique. La musique napolitaine occupe le troisième CD ; l’ambiance de 1993 est festive, avec des partitions de Scarlatti et Leo, un superbe concerto pour violon de Pergolèse et des pièces de Durante qui ouvrent la porte à un quatrième CD, consacré entièrement à ce compositeur hyperdoué et d’une grande originalité.
Vient alors le cinquième CD, pour lequel nous avouons un attrait particulier, au point de suggérer au lecteur de le placer en premier lieu de son audition. Sous le titre La prise de la Bastille, il met en valeur quatre compositeurs, le volubile Carl Ditters von Dittersdorf, l’inconnu Jean-Baptiste ‘Citoyen’ Davaux qui mêle des airs patriotiques aisément reconnaissables à sa symphonie concertante, le raffiné François Martin et François-Joseph Gossec, qui fut formé à Walcourt avant de se produire à Anvers, Bruxelles et Liège. Gossec (1714-1829) était né dans le comté du Hainaut, à Vergnies, localité aujourd’hui belge, mais qui était alors française. Installé à Paris, Gossec allait devenir musicien officiel sous la Révolution. Le neuvième CD (1989) lui est entièrement consacré; on y trouve quatre somptueuses symphonies, dont « La Chasse » et celle « à 17 parties », dont la grandeur n’est pas usurpée, dans une version qui brille de mille feux. Ce sera sans doute un coup de cœur pour beaucoup de mélomanes.
N’en jetons plus, la coupe est pleine. Elle déborde même, avec des symphonies espagnoles (CD n° 6, 1993), dans lesquelles on admire la vitalité et l’imagination des peu connus Pons ou Nono, mais surtout l’inspiration de la symphonie d’Arriaga, mort à vingt ans. Trois symphonies (il en a composé plus de trente-cinq) de l’Italien Gaetano Brunetti qui fit carrière à la cour d’Espagne sont l’apanage du CD n° 7 de 1994. Quatre symphonies du compositeur suédois d’origine allemande Joseph Martin Kraus, exact contemporain de Mozart auquel il ne survécut qu’une année, figurent sur le  CD n° 8 ; le Concerto Köln y montre à quel point Kraus était l’un des maîtres de son époque et combien sa perte fut, elle aussi, incommensurable. La parution de ce disque eut un grand retentissement au début des années 1990, il fut couronné d’un Diapason d’or. Plusieurs disques de cette anthologie ont été récompensés de la même manière. Ce n’est que logique : des trésors sont ainsi couronnés.
Ce coffret enthousiasmant, à (s’)offrir séance tenante, procure un infini plaisir, non seulement par son programme, des plus séduisants et des plus remarquables quant à ses choix, mais aussi par la haute qualité des interprètes. Ce festival permanent de couleurs, de sonorités jouissives et de beautés musicales dont on ne se lasse jamais est un éblouissement !

Jean Lacroix