Dans moins de six mois, débutera
la commémoration des 250 ans de la naissance de Beethoven. Même si la date
exacte de l’anniversaire se situe en décembre 2020, il ne faut pas être grand
clerc pour penser que nous devons nous attendre à une avalanche rapide de
parutions et de rééditions en tout genre. Il serait bon aussi que de nouvelles
études en français viennent enrichir notre connaissance de ce géant de la
composition. Un CD nous met déjà l’oreille en phase d’attente.
En 2013, l’infatigable défricheur
qu’est Cyprien Katsaris proposait le premier enregistrement intégral de la
version pianistique, de la main même de Beethoven, du ballet Les Créatures de Prométhée qui date des
années 1800-1801, entre la composition des deux premières symphonies. Il
s’agissait d’une commande du chorégraphe Salvatore Vigano, dont la création eut
lieu à Vienne le 28 mars 1801. Dès le mois de juin, un éditeur fit paraître
dans la capitale autrichienne la réduction pour piano de la partition, que le
compositeur dédia à la princesse Lichnowsky. Grâce au label Naxos (8.573974),
c’est le pianiste originaire de Hong Kong, Warren Lee qui a rendu vie encore
une fois à cette oeuvre, le 18 novembre 2018, dans les studios du Wyastone
Concert Hall anglais de Monmouth.
Le seul ballet que Beethoven ait
composé fut un succès immédiat, il y eut une trentaine de représentations, mais
tout retomba vite dans l’oubli, le compositeur lui-même n’en faisant pas grand
cas. Il en réutilisa cependant des thèmes dans ses Variations pour piano op. 35, de même que dans l’Héroïque et la Pastorale. La brève ouverture des Créatures de Prométhée est encore souvent programmée en salle de
concert. De l’intégrale, il existe l’une ou l’autre version orchestrale, dont
celle de l’Orchestre de chambre Orpheus, au milieu des années 1980.
L’œuvre se compose de l’ouverture
et de deux actes, pour un ensemble de dix-huit mouvements. On ne reviendra pas
sur le thème bien connu du parcours de Prométhée et du feu dérobé aux dieux
pour le donner aux hommes. Mais il faut savoir que le chorégraphe Vigano
souhaitait, par l’association de mythes, récits mythologiques et allégories
donner au ballet une dimension politique, idéologique et esthétique. Vigano
avait des intentions « révolutionnaires ». Ce que la France avait
vécu avant l’arrivée au pouvoir de Bonaparte ouvrait à l’humanité la
perspective d’accéder à la liberté et au bonheur. (1).
Le soliste du présent enregistrement,
Warren Lee, a été un enfant prodige. Dès l’âge de six ans, il se produisait
avec l’Orchestre Philharmonique de Hong-Kong à l’occasion d’un concert
télévisé. Considéré comme un phénomène, il a remporté en 1995 le Premier Prix
du Stravinsky Awards International Piano Competition et a été, la même année,
Grand Prix du Concours Ivo Pogorelich. Warren Lee, qui est aussi compositeur, a
publié chez Naxos des CD consacrés à des œuvres de Dun et Bernstein, a
participé à la « Complete Music » de Liszt pour le volume n° 50, et a
accompagné des violonistes dans des sonates de Schubert ou des concertos de
Seitz. Sa vision beethovenienne bénéficie d’une noblesse d’accents et d’une
imagination à la fois variée et imagée qui n’exclut pas l’âpreté du propos ni la
grandeur qu’il accorde à cette oeuvre éminemment romantique. Il a le sens des
nuances, de la couleur et de la projection, donnant à ces pages un intérêt
constant et leur juste dimension d’équilibre et d’élan mesuré. Oui, voilà une
belle mise en bouche pour la future commémoration !
Jean Lacroix
(1) Le lecteur désireux
d’approfondissement lira avec intérêt les pages 211 à 223 que l’historienne
Elisabeth Brisson consacre aux Créatures
de Prométhée dans son Guide de la
musique de Beethoven, paru aux éditions Fayard en 2005.