Lien vers le CD |
Appelée aussi Santa Maria in Vallicella, l’église de la
Chiesa Nuova de Rome est située sur la place du même nom, en plein centre
historique. Ce hâvre de paix s’ouvre sur le Corso Vittorio Emmanuele II, la
grande artère qui mène de la place Saint-Pierre au Capitole. Construite au XVIe
siècle après l’installation de la Congrégation de l’Oratoire fondée par
Philippe Néri, cette église contient des fresques de Pietro de Cortona, mais
aussi, entre autres œuvres précieuses, deux Rubens sur ardoise. C’est dans cet
édifice chargé d’histoire artistique que fut créée au cours de l’année 1600 la Représentation de l’âme et du corps
d’Emilio de Cavalieri, oratorio de la première heure. Sa Sinfonia amorce ce que le livret d’un nouveau CD appelle une
« méditation musicale » ; il s’agit d’un recueil envoûtant de
morceaux de pénitence destinés à la Semaine sainte. Sous le titre générique de Teatro spirituale, cet enregistrement
effectué en partie à Trevi, dans la Chiesa museale di San Francesco en janvier
2018, puis, en septembre dernier, à l’église Saint-Apollinaire de Bolland,
village du pays de Herve en province de Liège, est un grand moment de ferveur
et d’intensité religieuse et vocale. On y retrouve des pages de Marenzio ou de
Frescobaldi, mais aussi d’autres compositeurs du temps (Quagliati, Anerio,
Cifra…), dont certains sont anonymes. La beauté instrumentale et plastique de
ce CD Ricercar (RIC 399) est confondante, car elle s’inscrit dans une
atmosphère recueillie au cours de laquelle une sorte de lumière semble émaner
des voix mais aussi du cornet, du clavecin, du théorbe ou de l’orgue, tous en
état de grâce. Dans une intervention de la notice, à lire en entier pour mieux
savourer l’écoute, Lambert Colson précise qu’au début du XVIIe siècle, à Rome,
« la musique y était à la fois
avant-gardiste mais aussi populaire, très simple et parfois pourtant d’une
grande complexité contrapuntique, tour à tour humble ou flamboyante… ».
Ce voyage intérieur au cœur de la pénitence est habilement construit, les
plages vocales alternent avec les interventions musicales, dans un climat
d’ensemble où l’intimité rejoint une expérience mystique que l’on pourrait presque
qualifier de charnelle, voire de sensuelle. Tous les interprètes sont à louer,
tant ils nous font vivre des moments exaltants ou apaisants, comme à travers un
itinéraire où la beauté donnerait la main à l’éternité. On ne peut les citer
tous, mais on mettra en évidence la soprano Alice Foccroulle et le ténor
Reinoud Van Mechelen, aux lignes pures et si émouvantes. C’est l’ensemble
InAlto conduit par Lambert Colson qui officie tout au long de cette merveille
sonore à thésauriser, parce que, dans nos temps si troublés, elle nous fait
accéder à une intemporalité qui nous subjugue et nous console de bien des
vicissitudes. La réalisation sonore est à la hauteur de cette lumière à
laquelle nous avons fait allusion. La direction artistique a été confiée à Rainer
Arndt à Trevi et à Aline Blondiaux, pour Bolland. C’est tout dire…
Lien vers le CD |
Toujours chez Ricercar (RIC 400), c’est à un récital
d’orgue qui s’inscrit dans la « collection des maîtres de l’Allemagne du
Nord avant Bach » que nous invite Bernard Foccroulle, l’ancien directeur
de la Monnaie, dont vous avez sans doute déjà rangé dans votre discothèque
(sinon, il est grand temps) au moins ses intégrales de Bach et de Buxtehude,
elles aussi chez Ricercar. « Cet
enregistrement réunit deux compositeurs qui présentent un certain nombre de
caractéristiques communes : l’un et l’autre sont issus d’une famille de
musiciens, ils sont fils d’organiste, ils ont été élèves de Jan Pieterszoon
Sweelinck à Amsterdam, ils jouissent d’une réputation très enviable de leur vivant.
[…] » précise Bernard Foccroulle dans la notice du livret qu’il signe
lui-même. Quel meilleur intermédiaire espérer pour nous faire vivre un
programme Praetorius/Schildt du plus haut intérêt ? Ces deux musiciens se
situent dans l’héritage de la tradition luthérienne, dans lequel les chorals
jouent un rôle fondamental. Jacob Praetorius (1586-1651) originaire de
Hambourg, y a été organiste de l’église Saint Petri, la plus ancienne de la
cité, de 1603 à son décès ; il fut aussi professeur, il compta notamment Matthias
Weckmann parmi ses disciples. La notice précise que ses compositions dressent
un tableau de ses qualités musicales : gravité qui peut se révéler
austère, mais aussi expressivité et
exubérance. Nous les retrouvons dans les œuvres sélectionnées, du cycle
intimiste Vater unser im Himmelreich
à la sombre mais intense fantaisie sur le choral Durch Adams Fall ist ganz verderbt, où il est question du péché
originel, thème fondamental de la théologie luthérienne. Une page de haute
élévation, complétée par Foccroulle, car elle s’interrompait après les quatre
premiers versets du choral.
Melchior Schildt (1592-1667), dont on ne trouve pas de
trace dans l’énorme « Dictionnaire biographique des musiciens » de
Baker-Slonimsky, est né à Hanovre, a séjourné à Amsterdam, est devenu organiste
à Wolfenbüttel puis à Copenhague avant de prendre la succession de son père
dans sa ville natale. Foccroulle propose un éventail de ses versets sur un
choral de Noël, puis un Magnificat après un court Préambule. Tout comme avec Praetorius,
nous sommes plongés dans un ravissement qui est la conséquence d’une
personnalité de plus en plus affirmée que l’organiste met en évidence dans sa
notice : « [ …] ce n’est
plus le monde de la Renaissance qui s’exprime ici, mais bien le début de
l’esthétique baroque, un art de la composition qui tente d’émouvoir l’auditeur,
d’exprimer les affects les plus contrastés. […] ». On sent que
Foccroulle apprécie ces pages qu’il détaille avec minutie, mais aussi avec
chaleur et émotion. C’est l’orgue Stellwagen de la Jacobikirche de Lübeck qui a
été choisi pour cet enregistrement effectué en novembre 2018. Il a été
construit en 1467, restauré en 1515 et agrandi dans les années 1630. C’est sur
cet instrument peu modifié au fil des siècles, même s’il a été démonté puis
remonté au début de la seconde Guerre mondiale, que Helmut Walcha a enregistré
une partie de l’œuvre de Bach. Une restauration a eu lieu à la fin des années
1970. Foccroulle fait l’éloge de ses caractéristiques remarquables ; pour
nous, il en traduit toutes les richesses à travers les compositions de deux
organistes à découvrir avec le plus grand intérêt.
Jean
Lacroix