mardi 2 avril 2019

L’univers symphonique de Gabriel Dupont, une heureuse découverte




L’univers symphonique de Gabriel Dupont, une heureuse découverte

 

 


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Patrick Davin, à la tête de l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège, nous offre trois pages orchestrales de toute beauté qui représentent l’intégralité (trois partitions) de la brève œuvre symphonique du compositeur français Gabriel Dupont (1878-1914) dont les dix dernières années d’une existence trop brève furent minées par la tuberculose. Né à Caen, où son père était organiste à la cathédrale, c’est avec ce dernier que Dupont commence ses études avant de les poursuivre au Conservatoire de Paris, notamment avec Massenet et Widor. En 1901, il est gratifié d’un second Grand Prix de Rome. Attiré par l’opéra, il a la joie d’être programmé à Milan en 1904 avec La Cabrera. Le succès aidant, Dupont écrit d’autres œuvres lyriques, notamment La Farce du cuvier, créée à la Monnaie de Bruxelles en 1912. Il écrit aussi des pièces pour piano, un quintette, des mélodies, mais la maladie s’installe alors qu’il est dans la pleine force de l’âge, dès ses 25 ans. Avant d’en être victime, Dupont s’est lancé dès 1899 dans un poème symphonique, Jour d’été, commande de la ville de Nancy, dont Ropartz est alors directeur du Conservatoire et chef d’orchestre des concerts symphoniques. L’œuvre est créée en 1900. C’est une partition joyeuse et ensoleillée, en trois parties, qui montre une influence aisément reconnaissable de Massenet. Dupont en a écrit lui-même l’argument qui évoque la clarté, les blés et les oiseaux dans l’Allegro giocoso initial, les sous-bois dans l’air doux du déclin de la journée dans l’Andante tranquillamento, pour s’achever par un Allegro vivo au cours duquel la lune s’élève dans le ciel, avec le bruit d’une cloche qui tinte au loin. On ressent ici une grande joie de vivre chez un compositeur qui est encore à la recherche de sa propre personnalité musicale. Une recherche qui va hélas être bientôt malmenée par l’apparition des premiers signes de la tuberculose en 1903. En convalescence à Hyères, Dupont y entreprend l’écriture des Heures dolentes, cycle de quatorze pièces pour piano achevé en 1905, et joué en première audition l’année suivante à Paris. Cette même année, le compositeur en extrait quatre pièces pour les orchestrer. Le cycle pianistique (qui a été enregistré par Daniel Blumenthal en 1987) rendait compte de manière intimiste de l’effet de la maladie sur ses nerfs fragilisés et sur les impressions ressenties face à l’image d’un décès possible. L’orchestration révèle une volonté de transparence qui évoque la filiation avec Chabrier que Dupont revendiquait lui-même, mais aussi des fluidités qui ne sont pas si lointaines de Debussy. Dupont orchestra en fin de compte trois pièces (Epigraphe - La mort rôde ; Des enfants jouent dans le jardin et Nuit blanche - Hallucinations), la quatrième (Le soir tombe dans la chambre) est due à Alphonse Catherine. Résultat d’une commande d’Edouard Colonne, la dernière œuvre symphonique de cette courte intégrale est Le Chant de la destinée, que Dupont composa en 1907, alors qu’il était dans la région d’Arcachon. Elle symbolise l’homme confronté au spectacle de la nature. L’excellente notice du livret, signée par Emmanuel Sauvlet, évoque une lettre du compositeur à une amie dans laquelle il écrit : « […] c’est en écoutant chanter la formidable forêt que j’avais devant moi que cette œuvre m’est venue. » Il s’agit d’une partition d’une petite quinzaine de minutes, à l’élan foisonnant, où l’on peut entendre dans le dense tissu orchestral le souvenir de Liszt ou de Richard Strauss. On ressent le drame sous-jacent qui frappe le créateur et le met face à lui-même et à son inéluctable destin tragique. Cette fatalité n’a sans doute pas permis à Dupont de nous gratifier d’autres pages orchestrales qui auraient enrichi l’histoire de la musique. On en saluera d’autant plus l’initiative du label Fuga Libera (FUG 751) qui nous permet d’en prendre connaissance. 
L’OPRL et Patrick Davin offrent de ces pages méconnues une version soignée, impliquée et engagée. L’enregistrement a été réalisé dans la Salle Philharmonique de Liège du 3 au 6 septembre 2018 ; il est à découvrir sans hésitation.
Jean Lacroix