L’univers symphonique de Gabriel Dupont, une heureuse découverte
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Patrick Davin, à la tête de
l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège, nous offre trois pages orchestrales
de toute beauté qui représentent l’intégralité (trois partitions) de la brève
œuvre symphonique du compositeur français Gabriel Dupont (1878-1914) dont les
dix dernières années d’une existence trop brève furent minées par la
tuberculose. Né à Caen, où son père était organiste à la cathédrale, c’est avec
ce dernier que Dupont commence ses études avant de les poursuivre au
Conservatoire de Paris, notamment avec Massenet et Widor. En 1901, il est
gratifié d’un second Grand Prix de Rome. Attiré par l’opéra, il a la joie
d’être programmé à Milan en 1904 avec La
Cabrera. Le succès aidant, Dupont écrit d’autres œuvres lyriques, notamment
La Farce du cuvier, créée à la
Monnaie de Bruxelles en 1912. Il écrit aussi des pièces pour piano, un
quintette, des mélodies, mais la maladie s’installe alors qu’il est dans la
pleine force de l’âge, dès ses 25 ans. Avant d’en être victime, Dupont s’est
lancé dès 1899 dans un poème symphonique, Jour
d’été, commande de la ville de Nancy, dont Ropartz est alors directeur du
Conservatoire et chef d’orchestre des concerts symphoniques. L’œuvre est créée
en 1900. C’est une partition joyeuse et ensoleillée, en trois parties, qui
montre une influence aisément reconnaissable de Massenet. Dupont en a écrit
lui-même l’argument qui évoque la clarté, les blés et les oiseaux dans l’Allegro giocoso initial, les sous-bois
dans l’air doux du déclin de la journée dans l’Andante tranquillamento, pour s’achever par un Allegro vivo au cours duquel la lune s’élève dans le ciel, avec le bruit
d’une cloche qui tinte au loin. On ressent ici une grande joie de vivre chez un
compositeur qui est encore à la recherche de sa propre personnalité musicale.
Une recherche qui va hélas être bientôt malmenée par l’apparition des premiers
signes de la tuberculose en 1903. En convalescence à Hyères, Dupont y
entreprend l’écriture des Heures dolentes,
cycle de quatorze pièces pour piano achevé en 1905, et joué en première
audition l’année suivante à Paris. Cette même année, le compositeur en extrait
quatre pièces pour les orchestrer. Le cycle pianistique (qui a été enregistré
par Daniel Blumenthal en 1987) rendait compte de manière intimiste de l’effet
de la maladie sur ses nerfs fragilisés et sur les impressions ressenties face à
l’image d’un décès possible. L’orchestration révèle une volonté de transparence
qui évoque la filiation avec Chabrier que Dupont revendiquait lui-même, mais
aussi des fluidités qui ne sont pas si lointaines de Debussy. Dupont orchestra
en fin de compte trois pièces (Epigraphe
- La mort rôde ; Des enfants jouent dans le jardin et Nuit blanche - Hallucinations), la
quatrième (Le soir tombe dans la chambre)
est due à Alphonse Catherine. Résultat d’une commande d’Edouard Colonne, la
dernière œuvre symphonique de cette courte intégrale est Le Chant de la destinée, que Dupont composa en 1907, alors qu’il
était dans la région d’Arcachon. Elle symbolise l’homme confronté au spectacle
de la nature. L’excellente notice du livret, signée par Emmanuel Sauvlet,
évoque une lettre du compositeur à une amie dans laquelle il écrit :
« […] c’est en écoutant chanter la
formidable forêt que j’avais devant moi que cette œuvre m’est venue. »
Il s’agit d’une partition d’une petite quinzaine de minutes, à l’élan
foisonnant, où l’on peut entendre dans le dense tissu orchestral le souvenir de
Liszt ou de Richard Strauss. On ressent le drame sous-jacent qui frappe le
créateur et le met face à lui-même et à son inéluctable destin tragique. Cette
fatalité n’a sans doute pas permis à Dupont de nous gratifier d’autres pages
orchestrales qui auraient enrichi l’histoire de la musique. On en saluera
d’autant plus l’initiative du label Fuga Libera (FUG 751) qui nous permet d’en
prendre connaissance.
L’OPRL et Patrick Davin offrent de ces pages méconnues
une version soignée, impliquée et engagée. L’enregistrement a été réalisé dans
la Salle Philharmonique de Liège du 3 au 6 septembre 2018 ; il est à
découvrir sans hésitation.
Jean Lacroix