Robin Ticciati et la Sixième Symphonie de
Bruckner, un malentendu ?
Lien vers le CD |
Entre 1876 et 1881, Anton
Bruckner ne publie pas de nouvelle symphonie, il est occupé à retravailler les
précédentes. Pendant cette période, il trouve cependant le temps d’écrire son Quintette en fa majeur, moment
d’apaisement et de contemplation dans l’immensité du massif symphonique. La
grande forme retrouve tous ses droits en 1881 avec la Sixième Symphonie,
entamée dès 1879, dont Bruckner trouve suffisante une unique version
définitive, contrairement à son habitude de remaniements. Plus modeste par ses
dimensions que les deux « cathédrales » qui l’entourent, elle étonne
par un climat globalement plus serein qui annonce cependant les trois immenses
fresques qui vont suivre. Œuvre de transition, a-t-on dit à son égard. Avec tant
de thèmes élégiaques et intenses à la fois ? Ce qui apparaît, c’est une
continuité avec le Quintette dont
l’atmosphère se prolonge dans un Adagio
de toute beauté, d’une intensité émotionnelle difficilement soutenable,
véritable blessure écorchée de l’âme (suite à une déception amoureuse ?).
La discographie de cette admirable partition est de haut niveau.
A son sommet,
domine la version exaltée et exaltante de Furtwängler de novembre 1943 en
concert public, hélas amputée du premier mouvement, définitivement perdu. Face
aux autres brucknériens de premier plan (Jochum, Karajan, Haitink, Wand, Solti,
Celibidache, Klemperer - jupitérien- mais surtout Sawallisch dans la version
munichoise d’octobre 1981 considérée souvent comme référence suprême), le défi
d’un nouvel enregistrement est réel. Robin Ticciati, que nous avons déjà mis en
évidence dans un récent très beau CD consacré à Ravel et à Duparc avec
Magdalena Kozena, vient de le relever avec son Deutsches Symphonie-Orchestrer
Berlin, grâce au label Linn (CKD 620). Il étonne d’emblée par une impétuosité
et une précipitation pendant tout le premier mouvement Maestoso, qui, à l’écoute, semble aux antipodes de la version de
Sawallisch, malgré une durée quasi identique, à quelques secondes près, pour
les deux approches. Il manque à Ticciati un souffle et une grandeur qui
devraient être l’apanage et la nécessité d’une pulsation qui, ici,se révèle un
peu confuse. Même sensation dans le sublime Adagio
qui suit, sommet de lyrisme et d’intériorité qui doit être négocié du plus
profond de l’émotion. Ticciati la gomme et nous frustre par une sorte de
superficialité qui ne nous touche pas. Où sont les accents déchirants ? Ce
n’est qu’à partir du Scherzo que les
partenaires semblent trouver l’atmosphère de fantastique légendaire qu’on attribue souvent à ce troisième mouvement.
Plus de sauvagerie nous aurait convenu, certes, mais elle est bridée, peut-être
par la prise de son sans finesse réalisée, excusez du peu, à la Philharmonie de
Berlin, du 10 au 12 février 2018. Ecoutez en comparaison la clarté minutieuse
du CD Orfeo de Sawallisch ! Reste le Finale,
dont l’indication « mouvementé, mais pas trop rapide » est cette fois
bien respectée, assurant enfin à cette version sa part de lyrisme rythmique qui
lui manquait jusqu’alors. Une coda échevelée nous permet de relever la petite
moyenne que nous serions tenté de donner à une interprétation qui nous laisse
en fin de compte sur notre faim. Dommage, car cet orchestre et ce chef forment
une équipe soudée et à la sonorité soignée.
En conclusion, nous pensons que ce
disque vient trop tôt pour un directeur musical qui aura 36 ans en avril de
cette année. Dans ce répertoire, il nous doit une revanche.
Jean Lacroix