jeudi 18 avril 2019

Robin Ticciati et la Sixième Symphonie de Bruckner, un malentendu ?

Robin Ticciati et la Sixième Symphonie de Bruckner, un malentendu ?

Lien vers le CD

Entre 1876 et 1881, Anton Bruckner ne publie pas de nouvelle symphonie, il est occupé à retravailler les précédentes. Pendant cette période, il trouve cependant le temps d’écrire son Quintette en fa majeur, moment d’apaisement et de contemplation dans l’immensité du massif symphonique. La grande forme retrouve tous ses droits en 1881 avec la Sixième Symphonie, entamée dès 1879, dont Bruckner trouve suffisante une unique version définitive, contrairement à son habitude de remaniements. Plus modeste par ses dimensions que les deux « cathédrales » qui l’entourent, elle étonne par un climat globalement plus serein qui annonce cependant les trois immenses fresques qui vont suivre. Œuvre de transition, a-t-on dit à son égard. Avec tant de thèmes élégiaques et intenses à la fois ? Ce qui apparaît, c’est une continuité avec le Quintette dont l’atmosphère se prolonge dans un Adagio de toute beauté, d’une intensité émotionnelle difficilement soutenable, véritable blessure écorchée de l’âme (suite à une déception amoureuse ?). La discographie de cette admirable partition est de haut niveau. 
A son sommet, domine la version exaltée et exaltante de Furtwängler de novembre 1943 en concert public, hélas amputée du premier mouvement, définitivement perdu. Face aux autres brucknériens de premier plan (Jochum, Karajan, Haitink, Wand, Solti, Celibidache, Klemperer - jupitérien- mais surtout Sawallisch dans la version munichoise d’octobre 1981 considérée souvent comme référence suprême), le défi d’un nouvel enregistrement est réel. Robin Ticciati, que nous avons déjà mis en évidence dans un récent très beau CD consacré à Ravel et à Duparc avec Magdalena Kozena, vient de le relever avec son Deutsches Symphonie-Orchestrer Berlin, grâce au label Linn (CKD 620). Il étonne d’emblée par une impétuosité et une précipitation pendant tout le premier mouvement Maestoso, qui, à l’écoute, semble aux antipodes de la version de Sawallisch, malgré une durée quasi identique, à quelques secondes près, pour les deux approches. Il manque à Ticciati un souffle et une grandeur qui devraient être l’apanage et la nécessité d’une pulsation qui, ici,se révèle un peu confuse. Même sensation dans le sublime Adagio qui suit, sommet de lyrisme et d’intériorité qui doit être négocié du plus profond de l’émotion. Ticciati la gomme et nous frustre par une sorte de superficialité qui ne nous touche pas. Où sont les accents déchirants ? Ce n’est qu’à partir du Scherzo que les partenaires semblent trouver l’atmosphère de fantastique légendaire qu’on  attribue souvent à ce troisième mouvement. Plus de sauvagerie nous aurait convenu, certes, mais elle est bridée, peut-être par la prise de son sans finesse réalisée, excusez du peu, à la Philharmonie de Berlin, du 10 au 12 février 2018. Ecoutez en comparaison la clarté minutieuse du CD Orfeo de Sawallisch ! Reste le Finale, dont l’indication « mouvementé, mais pas trop rapide » est cette fois bien respectée, assurant enfin à cette version sa part de lyrisme rythmique qui lui manquait jusqu’alors. Une coda échevelée nous permet de relever la petite moyenne que nous serions tenté de donner à une interprétation qui nous laisse en fin de compte sur notre faim. Dommage, car cet orchestre et ce chef forment une équipe soudée et à la sonorité soignée. 
En conclusion, nous pensons que ce disque vient trop tôt pour un directeur musical qui aura 36 ans en avril de cette année. Dans ce répertoire, il nous doit une revanche.  

Jean Lacroix