L’inlassable défricheur qu’est le label Naxos n’a pas fini
d’explorer des terres musicales qui nous permettent d’élargir notre champ d’écoute.
C’est au Hongrois Léo Weiner et à sa musique symphonique qu’il consacre deux
CD, prémices espérées d’autres mises en évidence de cet héritage sonore
méconnu.
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Léo Weiner (1885-1960) est dans
son pays une immense personnalité, car il fut aussi un pédagogue de premier
ordre et a laissé des écrits théoriques de référence. Parmi ses élèves, on
compte de grands chefs d’orchestre : Antal Dorati, Ferenc Fricsay, Georg
Solti, mais aussi le compositeur Györgi Kurtag ou les pianistes Annie Fischer
et Andor Foldes. Né à Budapest, Weiner étudie auprès de Janos Koessler, un
Allemand installé en Hongrie qui perpétue la tradition brahmsienne (il a formé
aussi Bartok, Kodaly, Dohnanyi ou Kalman), avant de poursuivre sa formation à
Vienne, à Paris et à Berlin. Sa carrière de compositeur débute tôt, et il
remporte une série de récompenses qui le font connaître sur le plan
international. Imprégné de culture classique, c’est dans cette ligne
traditionnelle, résolument postromantique, que ce musicien hyper-doué écrira ses
partitions, sans jamais déroger à cette option. Il tire son inspiration des
grands maîtres allemands du XIXe siècle et y ajoute des éléments traditionnels
hongrois, en laissant de côté les aspects folkloriques auxquels un Kodaly, par
exemple, s’attachera. Son catalogue est riche en musique de chambre, en pièces
pour piano, en arrangements de classiques (Berlioz, Liszt, Schubert…) et en
œuvres symphoniques : concertos, ballets, suites, sérénades…
Le premier CD Naxos qui nous est
proposé (8.573491) s’ouvre par une Ballade
pour clarinette et orchestre opus 28, écrite en 1908, mais c’est la version
tardive pour violon alto de 1949 que nous entendons. Les réminiscences impressionnistes foisonnent
et dominent, dans un climat léger et imagé très délicat. Sur le même CD, on
trouve le ballet opus 10 Csongor et Tünde
que Weiner considérait comme son oeuvre la plus marquante, ici dans sa version
définitive de 1959. L’action est basée sur un poème dramatique célèbre, écrit
en 1830 par Mihaly Vörösmarty ; c’est une histoire d’amour entre un
prince et une fée qui se battent pour leur bonheur contre les assauts du
diable. Ce que l’on peut considérer comme un conte philosophique contient
quatorze pages symphoniques bien tournées, à l’orchestration colorée et vivace,
qui s’écoute avec plaisir, dans la tradition du grand ballet classique. Des
illustrations en noir et blanc, insérées dans le livret (rédigé en anglais
seulement) témoignent de la popularité en Hongrie de ce programme léger.
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Un second CD Naxos (8.573847) est
consacré à une vaste fresque qui dépasse les 60 minutes, un poème symphonique
en douze tableaux d’après un poème épique de Janos Arany. Toldi opus 43, composé en 1952, relate les exploits d’un guerrier
du XIVe siècle. Ce noble personnage servit sous les ordres du roi Louis le
Grand et dirigea, à la tête de mercenaires, la campagne menée par ce dernier en
Italie. Une statue édifiée à Budapest rappelle le souvenir de cette figure
nationale ; un blindé léger de la Honved, l’armée hongroise, a même été
affublé de son nom pendant la Seconde Guerre Mondiale. Dans l’esprit collectif,
c’est une figure héroïque et tragique à la fois, car bien des péripéties
jalonnent son existence, ce que traduit Weiner dans sa partition, dont il tira
deux suites. Le ton est éloquent et varié, l’orchestration grandiose, on pense
parfois à l’Ilya Muromets de Glière
et à ses majestueux élans, mais on n’est pas au même niveau de souffle
inépuisable. Weiner s’est revendiqué, nous l’avons dit, des influences de
Beethoven, Mendelssohn, Brahms, voire même de Bizet, en rejetant les nouveautés
apportées par Strawinski ou Bartok. Cela se ressent dans cette gigantesque
partition, témoignage de postromantisme non dénué de trouvailles stylistiques
qui se déploient en épisodes lyriques ou emphatiques, mais qui n’est en rien
novatrice. La prise de son de cet enregistrement, effectué comme le précédent
dans les studios de la Radio hongroise, aurait par ailleurs gagné à plus de
clarté.
Il existe une autre gravure de Toldi, parue chez Hungaroton en
2014, confiée à l’Orchestre Symphonique du Nord de la Hongrie, sous la baguette
de Laszlo Kovacs. Chez Naxos, l’Orchestre Symphonique de Budapest MAV est
dirigé avec soin et brio dans les trois œuvres de Weiner par Valéria Csány.
Cette chef d’orchestre, née en 1958, a suivi des cours auprès de Peter Eötvös à
Szombathely et de Milan Horvat à Salzbourg. Au cours d’une carrière intense à
l’Opéra d’Etat hongrois, elle y a conduit plus de 700 représentations. On la
retrouve dans plusieurs productions du label Naxos : œuvres de Erkel ou
Széchényi, opérette Princesse Ninetta de
Johann Strauss fils. C’est l’altiste Máté Szücs qui est le soliste de la Ballade ; cet artiste sensible et
raffiné, né en 1978, a étudié au Conservatoire Royal de Bruxelles puis au
Conservatoire Royal des Flandres et a remporté à 20 ans le Premier Prix d’alto
au Concours International de Liège. Il a presté au cœur de plusieurs formations
internationales. De septembre 2011 à août 2018, ce virtuose a été premier alto
au Philharmonique de Berlin.
Jean Lacroix