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Dans la foulée du splendide livre
d’art/CD consacré à Léonard de Vinci que nous avons recensé récemment, le label
Alpha semble avoir pris goût aux rapprochements entre les arts, ce qui n’est
pas pour nous déplaire. Dans un nouvel album au format habituel, des
reproductions de peintures sont à nouveau mises en évidence. Holbein le Jeune,
Bosch, Brueghel le Jeune, Le Caravage, Arcimboldo et quelques artistes moins
connus du XVe au XVIIe siècle sont du nombre. Ils accompagnent un projet
artistique intitulé La morte della
ragione (« La mort de la raison »), qui réunit aussi la littérature et la musique. Des réflexions
ou des extraits d’œuvres d’Aristote, Erasme, Shakespeare, Pétrarque, Ganassi,
Vecchi, Bruno et quelques autres sont mis en miroir avec des textes signés
Nietzsche, Gilles Deleuze et Félix Guattari ou Wilhelm Furtwängler. Tous ces
morceaux choisis ont un lien direct ou indirect avec la conscience, la raison,
la folie ou le monde du bizarre et apparaissent comme la volonté de l’auteur du
concept de ce CD (Alpha 450) d’identifier le contenu du programme musical.
C’est là que le bât blesse un peu, car si l’intention philosophique, morale ou
esthétique est louable, on a du mal à voir la cohérence entre les citations qui
semblent quelque peu contreplaquées, comme si elles servaient de prétexte à une
aventure sonore qu’il faudrait justifier. Par ailleurs, le texte principal du
livret, signé Giovanni Antonini, plutôt musicographique, n’éclaire pas vraiment
le sujet ni les choix littéraires, même si le lecteur comprend que « la musique relève elle aussi de ce genre de
folie [la privation de la raison], ne
serait-ce qu’à cause du mystérieux
pouvoir émotionnel qu’elle exerce au-delà de la raison. »
Après avoir indiqué que le
programme s’ouvre par un prélude improvisé à la flûte à bec, Antonini fait
référence à la deuxième pièce du CD, œuvre d’un anonyme du XVIe siècle, une
pavane intitulée La morte della ragione,
qui donne son titre à l’ensemble et fait, selon lui, « peut-être allusion au célèbre Eloge de
la folie d’Erasme de Rotterdam ».
Laissons de côté ces quelques remarques pour nous centrer sur le contenu de
cette gravure réalisée en septembre 2017 en Pologne, au Forum National de la
Musique de Wroclaw. Car ce contenu est des plus envoûtants. Disons-le
d’emblée : nous avons la plus grande admiration pour le travail accompli
depuis plus de trois décennies par Giovanni Antonini et Il Giardino Armonico au
service de Bach, Haendel, Vivaldi, Mozart ou Haydn (pour ce dernier, le fameux
« Projet 2032 » sur lequel nous nous pencherons bientôt). Les
interprétations de cet ensemble sur instruments d’époque ont été couronnées par
de nombreux prix.
Une fois de plus, nous sommes
embarqués dans une magnifique aventure sonore. Afin d’illustrer le propos
auquel nous avons fait allusion, Antonini rassemble près de trente pièces
instrumentales à la configuration variée, écrites par des compositeurs comme
Tye, Josquin Desprez, Agricola, Dunstable, Gabrieli, Gombert, Scheidt et
quelques autres. Cet univers est ensorcelant, toute considération explicative
oubliée, car il introduit l’auditeur dans des climats tour à tour expressifs,
éthérés, joyeux, hypnotiques, héroïques (l’évocation de batailles), solennels,
intimes, mystérieux ou populaires. On est plongé dans un passé qui devient le
nôtre pendant plus de 70 minutes, car il souligne la complexité de l’être
humain et « témoigne peut-être du
fait qu’il n’y a pas de véritable opposition dans le dilemme classique entre la
raison et le sentiment ». Une expérience esthétique qui ne laisse pas
indifférent, en tout cas, et qui doit être considérée comme telle.
Jean Lacroix