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Le compositeur suédois Allan Pettersson (1911-1980) est
l’une des figures musicales les plus intéressantes du XXe siècle en raison de
sa production exigeante et de son parcours de vie. Très appréciée dans les pays
germanophones et anglophones, son œuvre est peu (re)connue chez nous, même si
de nombreux enregistrements sont à la disposition des mélomanes. Il doit une
partie de sa notoriété au grand chef d’orchestre Antal Dorati, qui a créé
plusieurs de ses symphonies, et qui a permis à la Septième, qui date de
1966-1967, de devenir un grand succès international.
Pettersson connaît une enfance difficile, dans un milieu
pauvre marqué par l’alcoolisme du père. Altiste de formation, il est membre
pendant les années 1940 de l’Orchestre de la Société des Concerts de Stockholm.
Il étudie la composition avec une figure nationale suédoise, Karl-Birger
Blomdahl, mais aussi à Paris en 1951 avec Darius Milhaud et Arthur Honegger. A
partir de 1953, de retour dans son pays natal, il souffre d’une grave
polyarthrite qui nécessite de longues périodes d’hospitalisation et entraîne de
graves soucis de santé. Sa production est riche en musique de chambre et
vocale, mais compte aussi à son actif des concertos et dix-sept symphonies,
dont la dernière est inachevée ; elles sont souvent en un seul mouvement,
dans un registre qui fait une grande place à la violence, au désespoir, à la
révolte et à la noirceur. Reflets d’une vie qui n’a pas été généreuse avec ce
compositeur de qualité, qui n’a cessé de clamer sa souffrance à travers la
musique.
Le label Bis (2290) publie, dans un son superlatif, le Concerto pour violon et orchestre n° 2 qui
date de 1977, trois ans avant la disparition de Pettersson. Cette énorme
partition de plus de cinquante minutes, durée rare pour cette forme, est d’une
exigeante et violente densité. Elle demande de la part du soliste un
investissement émotionnel et un engagement physique très forts, car la partie
dévolue au violon est omniprésente dans un parcours sonore que le livret
explicite en rapportant une note écrite par le compositeur lui-même, sans doute
au moment de la création : « Mon
œuvre était en fait une symphonie pour violon et orchestre. De là la
conséquence que le violon solo est intégré dans l’orchestre comme un instrument
orchestral ordinaire. Dans cette œuvre symphonique, il est, contrairement au
concerto conventionnel, question de longues parties en expansion qui déclenchent
des éruptions - mais non des tutti en paquets comme par exemple dans les
concertos ordinaires. […] ». A l’audition, on est frappé par cette
intrication entre le soliste et l’orchestre, elle porte ces pages grandioses
comme dans une coulée continue avec une expressivité qui finit par exercer un
effet hypnotique. On se laisse séduire par une inspiration qui semble toujours
se relancer et induit un fascinant temps en suspension. Le livret évoque la
possibilité d’une lutte contre l’orchestre, d’une « confrontation entre
système et individu » et même d’une « lutte du petit citoyen contre
Brejnev », qui dirigea l’URSS entre 1964 et 1982, sur la base de possibles
déclarations du compositeur rapportées par un critique.
Quoi qu’il en soit, la partition initiale a été révisée,
d’abord en 1978, puis après la création radio et télédiffusée, qui eut lieu peu
avant la disparition du compositeur, en 1980. Ida Haendel en assura la partie
soliste. Pettersson a inséré des réminiscences d’une oeuvre antérieure de
1943-45, les Chansons Pieds-nus, sur
ses propres textes, qu’il utilisa aussi dans certaines symphonies. Le livret
apporte un commentaire de Pettersson à ce sujet : « On n’inclut pas seulement une chanson. Elle
émerge organiquement de l’œuvre et se développe finalement en une grande
fresque. » Voilà des mots qui conviennent tout à fait à ces pages
envoûtantes, qui évoluent dans un univers tonal proche de
l’expressionnisme ; l’auditeur y adhère avec aisance, car le discours
contient de grandes beautés violonistiques qui relèvent souvent de la
lamentation et attestent d’un désespoir intime. Quand on sait que le
compositeur ne sortait plus de chez lui en raison de ses problèmes de santé, on
peut imaginer le message sous-jacent qui accompagne cette aventure sonore,
qu’il faut absolument découvrir.
Ulf Wallin qui a notamment étudié à Vienne avec Wolfgang
Schneiderhann et joue beaucoup de musique contemporaine, assure la partie
soliste avec la force, la vigueur et la tension qu’elle requiert, mais aussi
avec finesse et concentration. Wallin a bien intégré le message douloureux que
le compositeur transmet. L’orchestre symphonique de Norkköping est dirigé par
Christian Lindberg, tromboniste de formation. Le label Bis lui a confié
l’enregistrement de plusieurs symphonies de Pettersson, dont il est devenu un
spécialiste. On sent qu’il est en phase avec cette vision exclamatoire.
En complément de programme, on découvre un court fragment
de la Symphonie n° 17 du compositeur,
qu’il n’a pas eu le temps d’achever. L’intérêt est ici limité, car on ignore
comment Pettersson aurait fait évoluer son écriture ; ces mesures
initiales ont servi de base à une partition de Peter Ruzicka … das Gesegnete, das Verfluchte (« Les
bienheureux, les maudits »), qui date de 1991.
Le Concerto pour
violon et orchestre n° 2 d’Alan Pettersson est une partition magistrale.
C’est l’un de nos coups de cœur de l’année. Il donne envie d’aller à la
rencontre de ce compositeur de manière approfondie, ce qui est possible grâce
au label Bis. Plusieurs symphonies figurent à son catalogue.
Jean
Lacroix