dimanche 9 juin 2019

La densité grandiose du Concerto pour violon et orchestre n° 2 de Pettersson




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Le compositeur suédois Allan Pettersson (1911-1980) est l’une des figures musicales les plus intéressantes du XXe siècle en raison de sa production exigeante et de son parcours de vie. Très appréciée dans les pays germanophones et anglophones, son œuvre est peu (re)connue chez nous, même si de nombreux enregistrements sont à la disposition des mélomanes. Il doit une partie de sa notoriété au grand chef d’orchestre Antal Dorati, qui a créé plusieurs de ses symphonies, et qui a permis à la Septième, qui date de 1966-1967, de devenir un grand succès international.
Pettersson connaît une enfance difficile, dans un milieu pauvre marqué par l’alcoolisme du père. Altiste de formation, il est membre pendant les années 1940 de l’Orchestre de la Société des Concerts de Stockholm. Il étudie la composition avec une figure nationale suédoise, Karl-Birger Blomdahl, mais aussi à Paris en 1951 avec Darius Milhaud et Arthur Honegger. A partir de 1953, de retour dans son pays natal, il souffre d’une grave polyarthrite qui nécessite de longues périodes d’hospitalisation et entraîne de graves soucis de santé. Sa production est riche en musique de chambre et vocale, mais compte aussi à son actif des concertos et dix-sept symphonies, dont la dernière est inachevée ; elles sont souvent en un seul mouvement, dans un registre qui fait une grande place à la violence, au désespoir, à la révolte et à la noirceur. Reflets d’une vie qui n’a pas été généreuse avec ce compositeur de qualité, qui n’a cessé de clamer sa souffrance à travers la musique.
Le label Bis (2290) publie, dans un son superlatif, le Concerto pour violon et orchestre n° 2 qui date de 1977, trois ans avant la disparition de Pettersson. Cette énorme partition de plus de cinquante minutes, durée rare pour cette forme, est d’une exigeante et violente densité. Elle demande de la part du soliste un investissement émotionnel et un engagement physique très forts, car la partie dévolue au violon est omniprésente dans un parcours sonore que le livret explicite en rapportant une note écrite par le compositeur lui-même, sans doute au moment de la création : « Mon œuvre était en fait une symphonie pour violon et orchestre. De là la conséquence que le violon solo est intégré dans l’orchestre comme un instrument orchestral ordinaire. Dans cette œuvre symphonique, il est, contrairement au concerto conventionnel, question de longues parties en expansion qui déclenchent des éruptions - mais non des tutti en paquets comme par exemple dans les concertos ordinaires. […] ». A l’audition, on est frappé par cette intrication entre le soliste et l’orchestre, elle porte ces pages grandioses comme dans une coulée continue avec une expressivité qui finit par exercer un effet hypnotique. On se laisse séduire par une inspiration qui semble toujours se relancer et induit un fascinant temps en suspension. Le livret évoque la possibilité d’une lutte contre l’orchestre, d’une « confrontation entre système et individu » et même d’une « lutte du petit citoyen contre Brejnev », qui dirigea l’URSS entre 1964 et 1982, sur la base de possibles déclarations du compositeur rapportées par un critique.
Quoi qu’il en soit, la partition initiale a été révisée, d’abord en 1978, puis après la création radio et télédiffusée, qui eut lieu peu avant la disparition du compositeur, en 1980. Ida Haendel en assura la partie soliste. Pettersson a inséré des réminiscences d’une oeuvre antérieure de 1943-45, les Chansons Pieds-nus, sur ses propres textes, qu’il utilisa aussi dans certaines symphonies. Le livret apporte un commentaire de Pettersson à ce sujet : « On n’inclut pas seulement une chanson. Elle émerge organiquement de l’œuvre et se développe finalement en une grande fresque. » Voilà des mots qui conviennent tout à fait à ces pages envoûtantes, qui évoluent dans un univers tonal proche de l’expressionnisme ; l’auditeur y adhère avec aisance, car le discours contient de grandes beautés violonistiques qui relèvent souvent de la lamentation et attestent d’un désespoir intime. Quand on sait que le compositeur ne sortait plus de chez lui en raison de ses problèmes de santé, on peut imaginer le message sous-jacent qui accompagne cette aventure sonore, qu’il faut absolument découvrir.
Ulf Wallin qui a notamment étudié à Vienne avec Wolfgang Schneiderhann et joue beaucoup de musique contemporaine, assure la partie soliste avec la force, la vigueur et la tension qu’elle requiert, mais aussi avec finesse et concentration. Wallin a bien intégré le message douloureux que le compositeur transmet. L’orchestre symphonique de Norkköping est dirigé par Christian Lindberg, tromboniste de formation. Le label Bis lui a confié l’enregistrement de plusieurs symphonies de Pettersson, dont il est devenu un spécialiste. On sent qu’il est en phase avec cette vision exclamatoire. 
En complément de programme, on découvre un court fragment de la Symphonie n° 17 du compositeur, qu’il n’a pas eu le temps d’achever. L’intérêt est ici limité, car on ignore comment Pettersson aurait fait évoluer son écriture ; ces mesures initiales ont servi de base à une partition de Peter Ruzicka … das Gesegnete, das Verfluchte (« Les bienheureux, les maudits »), qui date de 1991. 
Le Concerto pour violon et orchestre n° 2 d’Alan Pettersson est une partition magistrale. C’est l’un de nos coups de cœur de l’année. Il donne envie d’aller à la rencontre de ce compositeur de manière approfondie, ce qui est possible grâce au label Bis. Plusieurs symphonies figurent à son catalogue. 

Jean Lacroix