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Philipp Heinrich Erlebach
(1657-1714) a bien failli disparaître de la mémoire musicale quand la plupart
de ses manuscrits ont été détruits dans l’incendie de la bibliothèque du
château où le compositeur avait fait toute sa carrière, à la cour du comte de
Schwarzbourg-Rudolstadt. Seules de rares
copies et des éditions ont permis d’avoir encore accès à ses œuvres sacrées ou
instrumentales, parmi lesquelles un recueil de sonates en trio qui date de
1694. C’est le label Ricercar (RIC 393) qui ressuscite ces six partitions
dédiées au violon, à la viole de gambe et à la basse continue. L’intéressante
notice signée par l’éminent spécialiste qu’est Jérôme Lejeune rappelle qu’au
début du XVIIe siècle, à l’héritage de leur tradition polyphonique, les
compositeurs des autres pays européens « […] apportent en doses variables, toutes sortes d’éléments empruntés aux
traditions italiennes et françaises. » Le violon s’impose en Allemagne
grâce à Carlo Farina et à Biagio Marini, toute une école se développe alors,
surtout à Dresde. Les pièces en solo apparaissent. Au milieu du siècle, la
viole de gambe prend le relais principal. « C’est le mariage des styles italiens et français et l’association
concertante de la viole et du violon qui vont constituer l’une des
caractéristiques de la musique instrumentale allemande de la fin du XVIIe
siècle », précise encore Lejeune. Erlebach, dont les cantates montrent
l’influence de Schütz, a composé beaucoup de musique instrumentale ; parmi
celles-ci, les VI Sonate a Violino e
Viola da gamba col suo basso continuo - le titre est en italien -, objet de
cette gravure.
Le genre est nouveau en Allemagne
à cette époque, selon un schéma Sonata/Allemande/Courante/Sarabande et
Variation/Gique (sic), avec une alternance de tempos lents et rapides pour la
Sonata avant des airs de danse nommés en français. Le mélange des formes
italiennes et françaises servira de modèle à d’autres compositeurs. On lira
avant audition les commentaires de Jérôme Lejeune qui placent ces pièces de
Erlebach dans un contexte plus vaste. Dans le présent enregistrement, réalisé
en avril 2018 en l’église romane Notre-Dame de Centeilles, située dans le
Languedoc, ce sont les solistes de l’ensemble L’Achéron, sous la direction du
gambiste François-Joubert-Caillet, qui cisèlent ces bijoux pleins de charme,
appels à la rêverie. Le violon de Marie Rouquié domine le sujet, avec le
soutien de Yoann Moulin pour la partie confiée aux claviers. La viole apparaît
plus discrète, soulignant avec délicatesse la magie qui se dégage de cette
belle aventure sonore.
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Rendez-vous en Italie pour
d’autres Sonates en trio plus tardives, dues à Giovanni Benedetto Platti
(1697-1763). Né à Padoue, ce hautboïste et violoniste a passé près de quarante
ans de sa vie à Wurztbourg, où il est arrivé dès 1722. Il y a exercé comme
instrumentiste, professeur de chant et compositeur à la cour des évêques, avant
d’être attaché au comte de Schönborn, Rudolf Franz Erwein, qui tenta de le
convaincre d’aller faire bénéficier de ses talents la cour impériale de Vienne.
Auteur d’opéras et de musique sacrée, c’est à la musique instrumentale que
Platti a consacré une grande partie de sa production. Les six Sonates en trio qui
composent le programme d’un nouveau CD Ramée (RAM 1801) datent sans doute de
1724. Construites en quatre mouvements, à une exception près, selon le schéma
lent-vite-lent-vite, elles font appel à des ensembles variés :
violon/violoncelle, hautbois/basson, violon/basson ou violon/hautbois, offrant
ainsi une large palette de couleurs que l’ensemble hollandais Radio Antiqua,
fondé en 2012, distille avec élégance et raffinement. La virtuosité du hautbois
de Yongcheon Shin et du basson de Isabel Favilla rivalisent de finesse avec le
violon de Lucia Giraudo. Claudio Ribeiro, qui est en charge du clavecin, leur sert d’écrin avec un
allant qui est aussi celui de Petr Hamouz au violoncelle, de Hen Goldsobel au
violone et de Giulio Quirici au théorbe. C’est une impression générale de
respiration lumineuse qui plane sur ces partitions, enregistrées en avril 2018
dans la Koepelkerk de Renswoude, dans la province d’Utrecht. Tout comme dans
les sonates de Erlebach, la magie fonctionne.
Jean Lacroix