mercredi 26 juin 2019

Porpora, ses cantates arcadiennes et son « duel » avec Haendel



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Le nom même de Nicola Antonio Porpora ressemble à un coup d’éclat du soleil. Cet immense compositeur ne retient l’attention que depuis quelques dizaines d’années seulement. Si vous consultez le Guide de la musique ancienne et baroque paru dans la collection « Bouquins » de l’éditeur Laffont en 1993, vous ne trouverez qu’un nombre limité de références discographiques. Pourtant, ce maître aujourd’hui mieux distribué et reconnu à sa juste dimension, notamment grâce à Cecilia Bartoli ou à Philippe Jaroussky, a été le professeur des célèbres castrats Farinelli et Caffarelli, du librettiste d’opéra et poète Métastase et aussi de Haydn en ce qui concerne la théorie musicale. 
Né en 1686 à Naples, où il décède en 1768, ce fils de libraire a écrit quatre dizaines d’opéras, des oratorios, des messes et des motets, des concertos et de la musique instrumentale. Nanti d’une solide réputation de professeur de chant, le pédagogue se partage entre sa ville natale et la cité des Doges, où il finit par s’installer en 1726 avant d’être engagé à Londres en 1733. Le parcours de cet infatigable voyageur le mènera encore à Dresde et à Vienne.
Deux nouvelles publications sont une occasion rêvée pour entrer plus avant dans l’univers de ce magicien de la voix. Le label Glossa (GCD 923513) propose un album de deux CD consacré à douze cantates sur des poèmes de Métastase, publiées à Londres en 1735, sous le titre Nuovamente composte opre di musica vocale (Cantates opus 1) et dédiées à l’héritier du trône, le prince de Galles, qui aimait tâter du clavecin et du violoncelle. Porpora avait répondu deux ans auparavant à l’invitation qui lui avait été lancée de créer en terre anglaise une compagnie théâtrale qui pourrait concurrencer celle de Haendel. Ces pièces vocales italiennes sur des thèmes arcadiens sont destinées par moitié à la voix de soprano et à celle d’alto pour les six autres. Considérées comme un modèle dans le contexte de la cantate de chambre italienne, elles connurent un succès considérable dû à leur sensibilité mélodique, à l’impression générale de fraîcheur naturelle et à la délicatesse joyeuse qui s’en dégage. Leur audition est un vrai bonheur d’écoute, ce qui nous permet de nous étonner lorsque la notice du livret nous conseille « de ne pas essayer d’écouter l’enregistrement entier d’une seule « gorgée ». Une approche lente serait préférable, […] ». Nous avons fait l’expérience à trois reprises : le charme, le raffinement, la finesse sont à ce point présents que l’intérêt ne faiblit pas. Il faut dire que les interprètes n’y sont pas pour rien. Deux sopranos (Francesca Cassinari et Emanuela Galli) et deux altos (Giuseppina Bridelli et Marina De Liso) se partagent les cantates ; l’ensemble Stile Galante dirigé par Stefano Aresi, avec le violoncelle d’Agnieszka  Oszanca ou le clavecin d’Andrea Friggi en tant que basses continues, se révèle être une équipe soudée et heureuse de se produire. On peut s’en persuader par le biais de quelques photographies en couleurs qui montrent les interprètes en été dans un cadre champêtre. L’enregistrement a eu lieu à Roccabianca, dans la région de Parme, en Emilie-Romagne, en octobre 2016 et août 2017. Nous partageons pleinement le plaisir distillé par ces images. Stefano Aresi précise dans la notice que quelques ornements vocaux auxquels avaient recours les chanteurs contemporains de Porpora, mais que l’on néglige aujourd’hui, ont été introduits. Ils n’en donnent que plus de saveur à ces bijoux esthétiques.

Lien vers le cd
Nous retrouvons la cantatrice Giuseppina Bridelli dans un étincelant CD Arcana (A461) intitulé « Duel » qui montre en couverture une escrimeuse en action. C’est quelque peu trompeur, car il ne faut pas s’attendre à un combat qui aurait abouti sur le pré entre Porpora et Haendel, dont la rivalité artistique est ici le seul sujet. Au contraire, les deux compositeurs éprouvaient de l’admiration l’un pour l’autre. Mais une « guerre des goûts » eut lieu entre chanteurs, modèles esthétiques et mécènes des milieux aisés lorsque Porpora s’est installé à Londres, où la troupe de Haendel occupait alors le haut du pavé. Les deux musiciens se trouvèrent ensemble en terre anglaise de 1733 à 1737. Passons sur les détails politico-socio-économiques qui ont conduit Porpora à être sollicité par ceux qui estimaient que les partitions du continent étaient plus en phase avec la modernité de l’époque que celles de Haendel. En tout cas, Porpora débarqua avec armes et bagages à la tête de l’Opera of Nobility, emmenant avec lui Farinelli, entre autres vedettes. Il y eut quand même des disputes allant jusqu’à des combats à mort entre spectateurs et des cabales pendant ces années de vie parallèle, mais ce que visaient les compositeurs, c’était d’abord de faire jouer leurs œuvres. La très intéressante notice, à lire avant audition, précise bien que « ce conflit ne se joua pas entre eux deux, mais entre eux et le public ». Porpora finira par rejoindre le continent après la faillite de sa compagnie.
La gravure Arcana, enregistrée en juin 2018 à Lyon au Temple Lanterne, illustre cette rivalité avec un programme très extraverti, dans lequel Le Concert de l’Hostel Dieu dirigé par Franck-Emmanuel Comte brille de mille feux. C’est un festival d’airs en alternance ou de moments orchestraux tirés des opéras Alcina, Ariodante, Tolomeo ou Catone in Utica de Haendel face à des œuvres lyriques de Porpora : Arianna in Naxo, David e Bersabea, Polifemo, Calcante e Achille ou Mitridate. Guiseppina Bridelli, qui a été récompensée à plusieurs reprises dans des concours internationaux, nous fascine par la virtuosité d’une voix qui se joue des difficultés avec une aisance de tous les instants. Son agilité technique nous entraîne dans un monde de sensations colorées et d’émotions sensibles qui sont en parfaite corrélation avec le but poursuivi par les deux compositeurs rivaux : l’intensité des séquences et l’impact sur le public. Tous les amateurs de merveilles sonores seront séduits.

Jean Lacroix