dimanche 9 juin 2019

Vinci et Rembrandt : la musique, miroir de la peinture



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On commémore cette année avec fastes le 500e anniversaire de la disparition de Leonard de Vinci (1452-1519). L’occasion est belle de rappeler les liens étroits que ce génie a entretenus avec la musique, d’autant plus que le peintre pratiquait lui-même le chant en s’accompagnant de la lira del braccio, instrument à sept cordes frottées, chacune représentant une planète. Le contact avec la musique des sphères est mis ainsi en évidence. Vinci improvisait de la poésie  ou récitait Virgile ou Homère. Le label Alpha (456) nous fait ici un cadeau somptueux, tant au niveau de la conception que du contenu. Dans un élégant format 13, 5 x 20, 5 cm, l’objet est une merveille. Intitulé Leonardo da Vinci. La musique secrète, il met en parallèle dix chefs- d’œuvre du peintre et de la musique de compositeurs des XVe et XVIe siècles. Ce qu’il faut bien appeler un CD/livre d’art reproduit en couleurs des œuvres majeures comme La Belle Ferronnière, La Vierge aux rochers, l’intense Portrait de musicien des environs de 1485, La Vierge à l’enfant avec Sainte Anne, L’Annonciation ou encore, bien sûr, La Joconde. Après une introduction générale, chaque tableau est accompagné d’une longue notice explicative, qui évoque l’œuvre, mais aussi le choix des musiques qui ont été mises en correspondance. Cela donne une passionnante et luxueuse rétrospective de la production de Vinci, avec de splendides illustrations, dont maints détails précis sont mis en évidence. Le travail éditorial est magnifique, avec un livret très documenté en trois langues (anglais, allemand et français).
L’auteur de ces informations éclairées est le flûtiste à bec Denis Raisin Dadre, qui dirige l’ensemble Doulce Mémoire, au sein duquel luths, guitare, harpe, violes, vièle, flûtes et lira da braccio voisinent. Avec en prime cinq chanteurs (soprano, alto, ténor, baryton et basse). Dans sa présentation, Denis Raisin Dadre explique que, pendant la période créatrice qui s’étend de 1470 à 1519, « personne ne peut citer un compositeur italien important contemporain de Vinci, car entre la période qui marque la fin brillante de l’Ars nova italienne du XIVe siècle et l’extraordinaire floraison du madrigal du XVe s’étend une sorte de désert musical pour la musique italienne ». Pour associer les musiques aux peintures, et afin d’être « près de l’environnement sonore de Léonard », le responsable de cet ambitieux projet a donc ratissé large. Les Franco-Flamands, rappelle-t-il, dominent la musique par l’intermédiaire de l’Etat bourguignon qui est au sommet de sa puissance ; ils sont bien représentés. On entend donc ici, avec un ravissement permanent, des pièces de Josquin  Desprez, Jean L’Héritier, Heinrich Isaaac, Jacob Obrecht ou Hayne Van Ghizeghem, à côté de morceaux anonymes (c’est le cas pour commenter La Joconde) ou de compositeurs moins connus (Patavino, Trombocino, Pesenti) ou carrément oubliés. Un minutieux travail de recherches à saluer comme il le mérite, car le résultat séduit l’oreille, les sens et la vision picturale. Cette production sort de l’ordinaire à bien des égards. On tient entre les mains des images majestueuses que l’on peut savourer à loisir, sur un beau papier glacé, tout en s’enivrant d’harmonies ou de mélodies enchanteresses. Chapeau bas à l’équipe qui a réalisé ce bijou visuel et sonore, enregistré avec subtilité en septembre 2018 à l’abbaye de Noirlac, située dans le Cher et devenue un centre culturel de rencontre. De telles réussites ennoblissent les arts.

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De son côté le label Aeolus (AE-10164) consacre à Rembrandt et à « la musique dans les Pays-Bas à son époque » un CD à la présentation beaucoup plus sobre, intitulé A Playlist for Rembrandt. Mais la démarche est des plus intéressantes. Même si l’on éprouve une fois de plus un certain agacement à découvrir un livret copieux en trois langues dont le français est exclu, on ne peut que se réjouir que ce soit Bob van Asperen qui soit à la manœuvre sur un clavecin Joannes Couchet de 1669, dans un enregistrement effectué au Rijksmuseum d’Amsterdam en juillet 2018. Rappelons que Rembrandt a vécu de 1606 à 1669, et que c’est donc aussi à l’occasion d’un anniversaire, le 350e de sa disparition, que cette édition voit le jour. Jusqu’à présent, les liens de ce maître avec la musique ont été peu étudiés, semble-t-il. Ce CD rassemble des pièces que le peintre a pu ou aurait pu découvrir au gré de ses rencontres dans les cercles intellectuels qu’il fréquentait, notamment par l’intermédiaire du compositeur, luthiste, poète et homme d’état Constantin Huygens (1596-1687). Ce dernier fut secrétaire et conseiller intime du prince d’Orange, Maurice de Nassau. Il entretint une correspondance suivie avec des musiciens de son temps, Boësset, Champion de Chambonnières ou Du Mont, mais aussi avec Descartes. La diversité du programme, qui comporte 27 entrées, met en scène des musiciens connus et des personnalités oubliées. Sweelinck ou Scheidemann côtoient Kerll ou Froberger, mais aussi Cornelis Padbrué. Celui-ci transcrivait des madrigaux et écrivit des chœurs dont le livret provenait du célèbre poète et dramaturge Joost van den Vondel. Dans ce répertoire, Bob van Asperen est impeccable : il allie la souplesse du jeu à l’intimité et l’ampleur à la confidence. Il fait sonner le Cochet sur lequel il magnifie l’ensemble de ces pages avec un sens confondant des coloris délicats, raffinés ou élégants. La pochette intérieure du CD reproduit ce splendide clavecin, mais aussi le tableau de Rembrandt La Partie de musique, qui date de 1626. Voilà une belle escapade dans un univers insolite ! Le dépaysement et le plaisir sont garantis.

Jean Lacroix