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On commémore cette année avec fastes le 500e anniversaire
de la disparition de Leonard de Vinci (1452-1519). L’occasion est belle de
rappeler les liens étroits que ce génie a entretenus avec la musique, d’autant
plus que le peintre pratiquait lui-même le chant en s’accompagnant de la lira
del braccio, instrument à sept cordes frottées, chacune représentant une
planète. Le contact avec la musique des sphères est mis ainsi en évidence.
Vinci improvisait de la poésie ou
récitait Virgile ou Homère. Le label Alpha (456) nous fait ici un cadeau
somptueux, tant au niveau de la conception que du contenu. Dans un élégant format
13, 5 x 20, 5 cm, l’objet est une merveille. Intitulé Leonardo da Vinci. La musique secrète, il met en parallèle dix
chefs- d’œuvre du peintre et de la musique de compositeurs des XVe et XVIe
siècles. Ce qu’il faut bien appeler un CD/livre d’art reproduit en couleurs des
œuvres majeures comme La Belle
Ferronnière, La Vierge aux rochers, l’intense
Portrait de musicien des environs de
1485, La Vierge à l’enfant avec Sainte
Anne, L’Annonciation ou encore,
bien sûr, La Joconde. Après une
introduction générale, chaque tableau est accompagné d’une longue notice
explicative, qui évoque l’œuvre, mais aussi le choix des musiques qui ont été
mises en correspondance. Cela donne une passionnante et luxueuse rétrospective
de la production de Vinci, avec de splendides illustrations, dont maints
détails précis sont mis en évidence. Le travail éditorial est magnifique, avec
un livret très documenté en trois langues (anglais, allemand et français).
L’auteur de ces informations éclairées est le flûtiste à
bec Denis Raisin Dadre, qui dirige l’ensemble Doulce Mémoire, au sein duquel
luths, guitare, harpe, violes, vièle, flûtes et lira da braccio voisinent. Avec
en prime cinq chanteurs (soprano, alto, ténor, baryton et basse). Dans sa
présentation, Denis Raisin Dadre explique que, pendant la période créatrice qui
s’étend de 1470 à 1519, « personne
ne peut citer un compositeur italien important contemporain de Vinci, car entre
la période qui marque la fin brillante de l’Ars nova italienne du XIVe siècle
et l’extraordinaire floraison du madrigal du XVe s’étend une sorte de désert
musical pour la musique italienne ». Pour associer les musiques aux
peintures, et afin d’être « près de l’environnement sonore de
Léonard », le responsable de cet ambitieux projet a donc ratissé large.
Les Franco-Flamands, rappelle-t-il, dominent la musique par l’intermédiaire de
l’Etat bourguignon qui est au sommet de sa puissance ; ils sont bien
représentés. On entend donc ici, avec un ravissement permanent, des pièces de
Josquin Desprez, Jean L’Héritier,
Heinrich Isaaac, Jacob Obrecht ou Hayne Van Ghizeghem, à côté de morceaux
anonymes (c’est le cas pour commenter La
Joconde) ou de compositeurs moins connus (Patavino, Trombocino, Pesenti) ou
carrément oubliés. Un minutieux travail de recherches à saluer comme il le
mérite, car le résultat séduit l’oreille, les sens et la vision picturale.
Cette production sort de l’ordinaire à bien des égards. On tient entre les
mains des images majestueuses que l’on peut savourer à loisir, sur un beau
papier glacé, tout en s’enivrant d’harmonies ou de mélodies enchanteresses.
Chapeau bas à l’équipe qui a réalisé ce bijou visuel et sonore, enregistré avec
subtilité en septembre 2018 à l’abbaye de Noirlac, située dans le Cher et
devenue un centre culturel de rencontre. De telles réussites ennoblissent les
arts.
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De son côté le label Aeolus (AE-10164) consacre à
Rembrandt et à « la musique dans les Pays-Bas à son époque » un CD à
la présentation beaucoup plus sobre, intitulé A Playlist for Rembrandt. Mais la démarche est des plus
intéressantes. Même si l’on éprouve une fois de plus un certain agacement à
découvrir un livret copieux en trois langues dont le français est exclu, on ne
peut que se réjouir que ce soit Bob van Asperen qui soit à la manœuvre sur un
clavecin Joannes Couchet de 1669, dans un enregistrement effectué au
Rijksmuseum d’Amsterdam en juillet 2018. Rappelons que Rembrandt a vécu de 1606
à 1669, et que c’est donc aussi à l’occasion d’un anniversaire, le 350e
de sa disparition, que cette édition voit le jour. Jusqu’à présent, les liens
de ce maître avec la musique ont été peu étudiés, semble-t-il. Ce CD rassemble
des pièces que le peintre a pu ou aurait pu découvrir au gré de ses rencontres
dans les cercles intellectuels qu’il fréquentait, notamment par l’intermédiaire
du compositeur, luthiste, poète et homme d’état Constantin Huygens (1596-1687).
Ce dernier fut secrétaire et conseiller intime du prince d’Orange, Maurice de
Nassau. Il entretint une correspondance suivie avec des musiciens de son temps,
Boësset, Champion de Chambonnières ou Du Mont, mais aussi avec Descartes. La
diversité du programme, qui comporte 27 entrées, met en scène des musiciens
connus et des personnalités oubliées. Sweelinck ou Scheidemann côtoient Kerll
ou Froberger, mais aussi Cornelis Padbrué. Celui-ci transcrivait des madrigaux
et écrivit des chœurs dont le livret provenait du célèbre poète et dramaturge
Joost van den Vondel. Dans ce répertoire, Bob van Asperen est impeccable :
il allie la souplesse du jeu à l’intimité et l’ampleur à la confidence. Il fait
sonner le Cochet sur lequel il magnifie l’ensemble de ces pages avec un sens
confondant des coloris délicats, raffinés ou élégants. La pochette intérieure
du CD reproduit ce splendide clavecin, mais aussi le tableau de Rembrandt La Partie de musique, qui date de 1626.
Voilà une belle escapade dans un univers insolite ! Le dépaysement et le
plaisir sont garantis.
Jean
Lacroix