Le trombone dans
tous ses états…
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Le label londonien Toccata a publié maints CD qui sortent
des sentiers battus. Il a par exemple mis en évidence des compositeurs méconnus
ou oubliés qu’il a remis avec bonheur sous les feux de l’actualité (nous avons
récemment évoqué Klengel, un contemporain de Beethoven). Cette fois, il propose
un panorama centré sur un instrument, le trombone, qui sort des profondeurs de
l’orchestre, d’où il émerge avec de fortes capacités expressives. On lui dénie
souvent la possibilité de se définir en termes de virtuosité. Le présent
enregistrement est là pour nous démontrer le contraire (TOCN 0003).
Quatre partitions composées entre 2002 et 2016 attestent
des possibilités sonores du trombone en lui confiant un rôle de soliste,
accompagné par un ensemble à vents. Le titre du CD Outrageous Fortune est celui que le compositeur anglais Nigel
Clarke, né en 1960, a donné à sa Symphonie n° 2, qui date de 2016. Conçue pour
trombone solo, comédien et ensemble à vents, cette œuvre est une évocation du
drame de Shakespeare Hamlet, dont il
suit la trame en un peu moins de 25 minutes en insistant sur la composante de
conspiration, de suicide, de revanche, de meurtre et de présence des esprits.
L’action se déroule au château d’Elseneur et deux soliloques, dont le fameux To be or not to be fait partie, se
partagent les deux mouvements, récités par l’actrice Natalie Gray. Le trombone,
c’est la voix de Hamlet, il joue un rôle d’accompagnement du texte, de manière
très descriptive, soutenu de temps à autre par les timbales ou la trompette.
L’atmosphère est oppressante, elle crée un malaise car en sortant du néant où
il n’y a que des mots, une musique troublante semble sonder les brumes avant de
se définir en jaillissements éruptifs ou en éructations. Le compositeur, qui
est aussi l’auteur de musiques de film, connaît la valeur du suspense et arrive
à le maintenir jusqu’à la déliquescence, le désespoir et le silence de la mort.
Le deuxième mouvement présente un long passage intimiste qui laisse
l’instrument se déployer en volutes avant de s’éclater en brisures, en phases
déchirées et en lamentations paroxystiques, le tout se perdant dans l’indéfini.
L’œuvre a été créée aux Etats-Unis le 15 septembre 2016, l’enregistrement dans
un studio du Tennessee a été effectué la veille.
Le Danois Soren Hyldgaard (1962-2018) est un compositeur
autodidacte qui a exercé aussi comme critique et a écrit des partitions pour le
cinéma et la télévision. Sa Rapsodie
boréale qui date de 2002 est le résultat d’une commande. D’une durée d’un
peu plus de seize minutes, elle utilise une sorte de structure circulaire sur
un thème lyrique qui se développe en pleine force, le trombone se lançant dans
un festival de notes kaléidoscopiques et de progressions au cours desquelles il
domine avant que les autres instruments à vent ne le rejoignent peu à peu dans
un espace sonore assez traditionnel. Des intermèdes tendres ou lyriques
parsèment cette pièce que l’on peut qualifier de circonstancielle.
L’Américain James M. Stephenson,
né en 1969, se lance dans un Concerto
brésilien qui date de 2006. C’est une œuvre en un seul mouvement qui a été
écrite pour Nitzan Haroz, le tromboniste de l’Orchestre de Philadelphie. Après
un long début dramatique, elle se révèle très attrayante en raison de ses
rythmes colorés de style bossa-nova et de ses interludes lyriques ; elle
impose au soliste plusieurs registres dans la virtuosité.
C’est notre compatriote Jan Van
der Roost qui ouvre le programme avec ses Contrastes.
Originaire de Duffel où il est né en 1956, il a effectué son cursus musical à
l’Institut Lemmens de Louvain avant de le poursuivre aux Conservatoires Royaux
de Gand et Anvers. Ce prolifique compositeur qui est aussi chef d’orchestre se
produit sur les quatre continents. Il a écrit des partitions sur commande dans
tous les domaines, notamment un concerto pour guitare, dédié à Joaquin Rodrigo
qu’il a connu personnellement. Nous ne ferons pas preuve de chauvinisme en
disant que son œuvre domine les autres pièces du présent CD. Ecrits en 2006,
les Contrastes sont destinés à Brett
Baker, qui est le soliste de cette production. Le premier mouvement,
« Sons » contient une atmosphère sombre, des harmonies complexes et
des effets spéciaux. Le trombone est utilisé comme un instrument volubile qui
s’épanouit grâce à des passages lyriques ou dans un contexte où les couleurs se
dessinent. Quant au second et dernier mouvement, « Caprice », qui
fait parfois penser à Bernstein, il fait preuve d’une énergie et d’un dynamisme
qui offre au trombone une série de difficultés techniques. Très virtuose, sans
négliger des moments mélodiques bienvenus, il s’en dégage un climat de
démonstration qui met en lumière bien des facettes d’un instrument séduisant et
aux larges possibilités.
Nous l’avons dit, c’est Brett
Baker, né en Angleterre à Gloucester en 1973, qui est ici la vedette. Il fait
la démonstration d’une technique impeccable face aux pièges des partitions qui
lui sont soumises comme d’un sens précis des nuances. Les coloris qu’il tire de
son trombone sont chauds et chaleureux. Reed Thomas dirige le Middle Tennessee
State University Wind Ensemble, qui nage comme un poisson dans l’eau dans ces
expériences sonores que l’on découvre avec un réel intérêt.
Jean Lacroix