L’ouverture Egmont opus 84 de Beethoven est souvent à l’affiche des concerts.
Cette partition est en réalité l’introduction d’une musique de scène que le
maître de Bonn compose au cours de l’automne 1809 et du début de 1810, suite à
une commande, et qui fait intervenir, avec l’orchestre, un récitant et une
soprano. La première a lieu à Vienne le 15 juin 1810 au Burgtheater, lors de la
quatrième représentation d’une production de la tragédie de Goethe. Il faut
savoir que lorsque le poète se lance dans l’écriture de ce chef-d’œuvre, il le
conçoit pour être accompagné de musique, ainsi que l’expliquent Jean et
Brigitte Massin dans leur biographie consacrée à Beethoven (Fayard, 1967).
Goethe indique même avec précision les passages où il souhaite cet apport. Son Egmont est publié en 1788 dans la
première édition de ses œuvres complètes. Quand Beethoven l’a-t-il lu ?
Une incertitude existe à ce sujet, mais les commentateurs penchent d’habitude
pour 1807, lorsqu’une deuxième édition des œuvres complètes paraît. La date de
1809 est aussi retenue. A ce moment-là, Beethoven demande à son éditeur de
Leipzig, Breitkopf et Härtel, de lui faire expédier les volumes. Cela
correspond à l’époque de la commande, qui émane du directeur des théâtres de la
Cour.
La partition complète de
Beethoven, d’une durée qui varie entre 45 et 50 minutes selon les chefs
d’orchestre, se compose, outre l’ouverture fréquemment jouée, de deux lieder,
de quatre entractes, de deux mélodrames et d’une symphonie de victoire finale,
évocation de l’exécution d’Egmont annoncée par des tambours. On retrouve à
l’apogée des éléments constitutifs de l’ouverture pour aboutir à l’intention
déclarée : un hymne solennel à la liberté. La narration occupe une place
importante, les courtes parties chantées par la soprano sont insérées entre ces
interventions déclamées et la musique confiée au seul orchestre. L’intégralité
de cette musique de scène est rarement jouée chez nous.
Sur le plan discographique, il en
existe quelques versions, dont celle de Karajan en 1969 avec le Philharmonique
de Berlin, Erich Schellow comme récitant et Gundula Janowitz. Hermann
Scherchen, Georges Szell, Maurice Abravanel ont enregistré Egmont à la même époque. Vu la nature de la partition, elle n’a
connu que peu de gravures. On retiendra encore celle de Kurt Masur et un
concert public de Claudio Abbado. Karajan domine, de loin, par la grandeur
mythique qu’il confère à l’ensemble. Son récitant est un peu terne, mais
Gundula Janowitz est sublime. C’est la version à acquérir parmi les anciens.
Vers le CD |
En guise de prélude à la
déferlante Beethoven qui nous attend pour les 250 ans du compositeur l’an
prochain, le label Ondine (ODE 1331-2) propose une version récente, sur
instruments d’époque. Il s’agit d’un concert public, enregistré à Helsinki
entre le dernier jour de 2018 et le 2 janvier 2019. Le livret contient le texte
complet, mais en deux langues seulement, anglais et allemand, ce qui ne
simplifie pas l’audition pour le mélomane francophone. Deux options, dès lors,
si l’on ne pratique pas l’original : suivre la traduction anglaise, le cas
échéant, ou se laisser mener par la main par le récitant, Robert Hunger-Bühler,
convaincant, engagé, capable de grandes envolées héroïques, l’admirable texte
poétique de Goethe se savourant comme en rêve. La soprano, Elisabeth Breuer,
dont le livret ne dit pas un mot (ni d’ailleurs du récitant), a longtemps
travaillé à Linz et s’est spécialisée dans les classiques viennois et les
opérettes ; elle est familière de maints festivals. Sa contribution à Egmont est limitée en termes de durée,
elle apparaît, dans les airs courts qui lui sont réservés en qualité de
compagne du supplicié, comme l’incarnation de la liberté. La voix est légère,
le timbre est transparent et lorsque le chant passionné de son deuxième lied
rappelle les grands moments de Fidelio,
on ne peut s’empêcher de rêver à ce qu’en faisait Gundula Janowitz.
Aapo Häkkinen est à la tête de
l’Ochestre baroque de Helsinki, dont il est le directeur artistique. Le livret est tout aussi silencieux à son
sujet. Ce claveciniste finlandais, âgé de 43 ans, a été l’élève de Bob Van
Asperen et Pierre Hantaï et a obtenu le deuxième prix au Concours de Bruges en
1998. Il joue aussi de l’orgue et du clavicorde et s’est affirmé, à la tête de
plusieurs formations, dans des opéras de Haendel, Haydn ou Monteverdi. Il
apporte à Egmont une verdeur
bienvenue grâce aux instruments d’époque, il souligne les accents éloquents et
sert une vision qui ne cesse de monter en puissance, après une ouverture prise
trop lentement. Elle aurait gagné à affirmer le drame d’emblée dans un geste
plus héroïque.
Ne faisons pas la fine
bouche : la partition est trop peu souvent présente pour négliger cette
nouvelle approche. Mais Karajan conserve sa première place, indiscutable. Le
mélomane qui souhaiterait un approfondissement sur les circonstances et les
détails de cette composition de Beethoven consultera avec bonheur les pages 505
à 517 du remarquable Guide de la musique
de Beethoven d’Elisabeth Brisson, paru chez Fayard, en 2005. C’est une mine
d’or !
Jean Lacroix