De Daniel Simon nous savons la passion qu'il nourrit pour le livre, la lecture, la littérature. Il s'y adonne à divers titres: écrivain, tout d'abord et ce n'est pas le moindre de ces titres, puisqu'il écrit poésie, romans, essais, théâtre en plongeant la plume dans cet encrier sans fond qu'est le coeur battant d'un être sincère et entier. Editeur aussi. Et puis animateur d'atelier d'écriture. Metteur en scène. Passeur. Diseur. "Gueuleur" si on pouvait du gueuloir de Flaubert extraire ce néologisme.
Le silence (injustifié) qui entoure la sortie de ses livres (qu'il en soit l'auteur ou l'éditeur) n'a pas aigri Simon qui continue, sans désemparer, d'écrire, publier et se battre pour que comme lui, d'autres découvrent les positions de lecture qui sont autant de "retraits du réel" que d'affrontements à celui-ci.
Dans les "Positions pour la lecture" , Daniel Simon réunit des textes qu'il avait éparpillés au gré des "Rencontres", "Atelier d'écriture" ou "Articles" , au gré des lectures et des indignations, des espoirs et des déceptions.
Certains des textes sont anonymes, d'autres sont dédiés à un ami, un lecteur, un stagiaire ou une association comme PEN Club Belgique . Certains textes nous racontent une histoire, d'autres nous en disent les possibles, comme cette litanie psalmodiée (p.76) sous l'intitulé incantatoire "Ne pas oublier" : (...) les bonnes consciences à l'unisson, l'adolescence et pas de sortie, une rage de dents, des résultats VIH, Ostende en hiver, une fondue savoyarde, Les Rois maudits (...).
Je n'ai pas encore achevé la lecture du livre que je tiens ouvert devant moi, à côté du clavier, je n'ai pas encore achevé la lecture mais chaque page de ce livre, chaque ligne de chaque page, m'inspirent, m'hypnotisent, me fascinent, comme si je trouvais là, chaque fois, à moi destinés, le mot, la phrase, l'assemblage poétique (ou non) qui me dit exactement ce que j'ai pu ressentir en lisant tel roman d'aventure, tel faux grand livre, ou en écoutant "la voix de la lecture silencieuse" (quelle belle expression, quelle belle page (59)!). Et puis, il y a aussi les blessures ouvertes: celles provoquées par l'avis indifférent du critique, par la critique indifférente du lecteur distrait.
Ce livre que je ne lâche plus, tant il me parle et m'émeut, me donne cette phrase pour le décrire et en dire l'éparpillement magique et lumineux: "(Il) est composé de fragments, de rognures, d'échardes, de mots glanés ci et là, tombés dans la tanière du renard. Avec le temps, tout s'est entremêlé, s'est fondu, agglutiné, des lignes se sont imposées, des phrases ont surgi comme neuves, des murmures ont fait frissonner des personnages inachevés qui à chaque rêve se consolident...". Ce n'est pas de ce livre-ci qu'il était question, bien sûr, mais peut-être du "livre idéal" , celui que daniel Simon a écrit déjà sans s'en rendre compte, car il n'a pas le recul pour contempler, comme je peux le faire, la bibliothèque des livres qui composent sa bibliographie et dont il serait temps de se rendre compte qu'il y a là une oeuvre, originale, hors normes, hors bornes, qui se décline, se lit, se joue et se dit. Qu'il serait temps de mettre en évidence, de reconnaître, de partager comme j'aimerais le faire davantage ici, avec ce blog, ou sur la web radio où j'ai interviewé déjà à plusieurs reprises. Lisez Dans le parc, Ce n'est pas rien, A côté du sentier, Je vous écoute, La moitié du monde, L'école à brûler...et tous les autres livres "Du même auteur" : ils sont des livres où puiser le goût des livres. Simon aurait pu placer en exergue de ses Positions de lecture, la belle ombre de Proust dont on relirait "Sur la lecture" :
Il n’y a peut-être pas de jours de notre
enfance que nous ayons si pleinement vécus que ceux que nous avons cru laisser
sans les vivre, ceux que nous avons passés avec un livre préféré́. Tout ce qui,
semblait-il, les remplissait pour les autres, et que nous écartions comme un
obstacle vulgaire à un plaisir divin : le jeu pour lequel un ami venait nous
chercher au passage le plus intéressant, l’abeille ou le rayon de soleil gênants qui
nous forçaient à lever les yeux de la page ou à changer de place, les
provisions de goûter qu’on nous avait fait emporter et que nous laissions à côté de nous
sur le banc, sans y toucher, tandis que, au- dessus de notre tête, le
soleil diminuait de force dans le ciel bleu, le dîner pour lequel il
avait fallu rentrer et où nous ne pensions qu’à monter finir, tout de suite après,
le chapitre interrompu, tout cela, dont la lecture aurait dû nous empêcher de
percevoir autre chose que l’importunité́, elle en gravait au contraire en nous
un souvenir tellement doux (tellement plus précieux à notre jugement actuel
que ce que nous lisions alors avec tant d’amour,) que, s’il nous arrive encore
aujourd’hui de feuilleter ces livres d’autrefois, ce n’est plus que comme les
seuls calendriers que nous ayons gardés des jours enfuis, et avec l’espoir de
voir reflétés sur leurs pages les demeures et les étangs qui n’existent plus.
Qui ne se souvient comme moi de ces lectures
faites au temps des vacances, qu’on allait cacher successivement dans toutes
celles des heures du jour qui étaient assez paisibles et assez inviolables pour
pouvoir leur donner asile.
Donnez asile aux "Positions pour la lecture", puis ouvrez un livre et abandonnez-vous à la "suspension volontaire de l'incrédulité" (Coleridge), et, si l'occasion s'en présente, allez écouter Daniel Simon, infatigable et indispensable défenseur du lire!
Jean Jauniaux