jeudi 3 octobre 2019

"Nez-de cuir" : de la Varende adapté par Jean Dufaux, ou la bande dessinée comme littérature


En adaptant Jean de La Varende, Jean Dufaux offre à Jacques Terpant, le dessinateur, et à nous, lecteurs, une sorte de synthèse de ce qui fait son art. Véritable écrivain dont l’œuvre ne s’exprime pas dans les formes littéraires « classiques », le roman, la nouvelle ou la poésie, Jean Dufaux réunit ici, dans l’histoire de Nez de Cuir, ce qui en constitue l’essentiel : une histoire, un style, un rythme, un point de vue, un lieu, un temps et des personnages. Ces éléments sont autant de composantes que la littérature entrelace et nourrit dans l’alchimie littéraire qui  enchante et émeut ceux qui, suivant la belle formule de Coleridge désignant la lecture, « abandonnent volontairement toute incrédulité ». En ouvrant l’album de Dufaux et Terpant, le lecteur est littéralement envoûté par le texte narratif dont chaque ligne crée la bande musicale de ces pages où se déploient en harmonie avec le récit, les images, - visages des personnages, décors somptueux de la Normandie-, l’action – on dirait un film dont les moyens de production auraient été illimités pour reconstituer les guerres napoléoniennes, les désastres des combats -, les dialogues – qui, ici, ne peuvent aller qu’à l’essentiel.

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On sait que Dufaux a été formé au montage cinéma, qu’il en connaît la grammaire et la puissance d’évocation. Mais, et c’est peut-être ce qui constitue la source vive de son inspiration, la force de la phrase prévaut toujours. Elle crée chez le lecteur cet envahissement esthétique auquel il s’abandonne, dès la première vignette de l’album, et qu’il ne quittera qu’après la deuxième ou troisième lecture. Car il faut y revenir au livre : chacune des visites à celui-ci met en évidence de nouvelles manières de lire le récit dont la trame narrative dévoile des dimensions nouvelles à chaque fois qu’on y retourne. Il y a bien sûr l’histoire linéaire  du comte Roger de Tainchebraye, qu’on appellera « Nez-de-cuir » à son retour de la bataille de Reims qui oppose les armées napoléoniennes aux  Prussiens. Le Comte reviendra dans sa Normandie natale le visage défiguré, dissimulant sa « gueule cassée » sou un masque de cuir. Il a vingt-deux ans. L’âge de la séduction, de l’amour. Il sera l’homme de toutes les conquêtes féminines. Jean de la Varende n’avait pas sans raison donné un titre plus explicite à son roman : Nez-de cuir, gentilhomme d’amour. Mais, au-delà des apparences,  l’histoire qui nous est racontée ici, et dont nous ne dévoilerons pas les cheminements, n’est-elle pas celle désespérée d’une résilience vouée à l’échec ?

Nous avons rencontré Jean Dufaux pour évoquer avec lui la dimension littéraire de son travail. Il nous livre ainsi une véritable master class  de l’adaptation d’œuvres comme celles de Céline (il vient de publier chez Futuropolis,  Le chien de Dieu ) et de Giono (il travaille actuellement à une adaptation du roman Le roi sans divertissement ). L’interview s’est déroulée dans un lieu éminemment chargé d’Histoire et d’histoires : le Musée de l’automobile (« Autoworld ») qui occupe un des édifices formant l’arc du Cinquantenaire à Bruxelles. 

Rentré à la table d'écoute pour mettre en ligne cet entretien, nous avons ressenti un nouvel appétit, à ne jamais rassasier, pour la littérature sous toutes ses formes. Et une hâte aussi: relire Nez-de-cuir mais aussi, si nous les trouvons, l'une ou l'autre des deux-cent nouvelles et vingt biographies de Jean de la Varende tombées dans l'oubli, mais aussi ces autres écrivains que nous ne cessions d'évoquer comme autant d'inspirations envisageables pour Jean Dufaux: Camille Lemonnier, Charles Plisnier...


Jean Jauniaux le 3 octobre 2019