En adaptant
Jean de La Varende, Jean Dufaux offre à Jacques Terpant, le dessinateur, et à
nous, lecteurs, une sorte de synthèse de ce qui fait son art. Véritable
écrivain dont l’œuvre ne s’exprime pas dans les formes littéraires
« classiques », le roman, la nouvelle ou la poésie, Jean Dufaux
réunit ici, dans l’histoire de Nez de Cuir, ce qui en constitue
l’essentiel : une histoire, un style, un rythme, un point de vue, un lieu,
un temps et des personnages. Ces éléments sont autant de composantes que la
littérature entrelace et nourrit dans l’alchimie littéraire qui enchante et émeut ceux qui, suivant la belle
formule de Coleridge désignant la lecture, « abandonnent volontairement
toute incrédulité ». En ouvrant l’album de Dufaux et Terpant, le lecteur
est littéralement envoûté par le texte narratif dont chaque ligne crée la bande
musicale de ces pages où se déploient en harmonie avec le récit, les images, -
visages des personnages, décors somptueux de la Normandie-, l’action – on
dirait un film dont les moyens de production auraient été illimités pour
reconstituer les guerres napoléoniennes, les désastres des combats -, les
dialogues – qui, ici, ne peuvent aller qu’à l’essentiel.
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On sait que
Dufaux a été formé au montage cinéma, qu’il en connaît la grammaire et la
puissance d’évocation. Mais, et c’est peut-être ce qui constitue la source vive
de son inspiration, la force de la phrase prévaut toujours. Elle crée chez le lecteur
cet envahissement esthétique auquel il s’abandonne, dès la première vignette de
l’album, et qu’il ne quittera qu’après la deuxième ou troisième lecture. Car il
faut y revenir au livre : chacune des visites à celui-ci met en évidence
de nouvelles manières de lire le récit dont la trame narrative dévoile des
dimensions nouvelles à chaque fois qu’on y retourne. Il y a bien sûr l’histoire
linéaire du comte Roger de Tainchebraye,
qu’on appellera « Nez-de-cuir » à son retour de la bataille de Reims qui
oppose les armées napoléoniennes aux
Prussiens. Le Comte reviendra dans sa Normandie natale le visage
défiguré, dissimulant sa « gueule cassée » sou un masque de cuir. Il
a vingt-deux ans. L’âge de la séduction, de l’amour. Il sera l’homme de toutes
les conquêtes féminines. Jean de la Varende n’avait pas sans raison donné un
titre plus explicite à son roman : Nez-de cuir, gentilhomme
d’amour. Mais, au-delà des apparences,
l’histoire qui nous est racontée ici, et dont nous ne dévoilerons pas
les cheminements, n’est-elle pas celle désespérée d’une résilience vouée à
l’échec ?
Nous avons
rencontré Jean Dufaux pour évoquer avec lui la dimension
littéraire de son travail. Il nous livre ainsi une véritable master class de l’adaptation
d’œuvres comme celles de Céline (il vient de publier chez Futuropolis, Le chien de Dieu ) et de Giono (il travaille actuellement à une
adaptation du roman Le roi sans divertissement ). L’interview
s’est déroulée dans un lieu éminemment chargé d’Histoire et d’histoires :
le Musée de l’automobile (« Autoworld ») qui occupe un des édifices
formant l’arc du Cinquantenaire à Bruxelles.
Rentré à la table d'écoute pour mettre en ligne cet entretien, nous avons ressenti un nouvel appétit, à ne jamais rassasier, pour la littérature sous toutes ses formes. Et une hâte aussi: relire Nez-de-cuir mais aussi, si nous les trouvons, l'une ou l'autre des deux-cent nouvelles et vingt biographies de Jean de la Varende tombées dans l'oubli, mais aussi ces autres écrivains que nous ne cessions d'évoquer comme autant d'inspirations envisageables pour Jean Dufaux: Camille Lemonnier, Charles Plisnier...
Jean Jauniaux
le 3 octobre 2019